Un amour fantasmé

Chantal DELTENRE, Où part l’amour, avec des photos de l’autrice, MaelstrÖm, 2020, 278 p., 15 €, ISBN : 9782875053671

deltenre ou part l amour« Photographier, c’est écrire avec la lumière. »

« Un paysage aimé ne vous quitte jamais. Même à des kilomètres et des années de distance, un paysage, c’est d’une fidélité inébranlable. »

Par petites touches fines et sensibles, Chantal Deltenre, écrivain, ethnologue, amateur passionné de photographie – ses clichés évocateurs jalonnent son dernier livre – nous rend proche, presque chère, son héroïne.

Où part l’amour doit son titre aux derniers mots, en suspens, d’un rêve dont se réveille C., cinquante ans, qui se partage entre ses enquêtes ethnologiques et ses photographies, son mode d’expression privilégié.

L’auteur nous dévoile « l’histoire d’une femme qui aimait une image, l’image d’un homme ».

Ce Jacques C., médecin engagé dans la guerre de Syrie, qui s’est glissé mystérieusement parmi les « amis » de son réseau Facebook, et apprécie les photographies qu’elle y publie, entame avec elle une conversation à distance.

Leurs échanges prennent une importance grandissante dans la vie de C., jusqu’à devenir un motif obsédant. Ses amies ne la reconnaissent plus, s’inquiètent, l’adjurent de couper ce lien virtuel qui sournoisement l’emprisonne.

Mais il lui faudra du temps pour se déprendre, s’affranchir du jeu subtil de celui qui, tour à tour, lui fait croire qu’elle est là pour lui, présente, précieuse, puis la renvoie à l’indifférence, à l’oubli. La pénétrant d’un sentiment de transparence, d’inexistence.

Du temps pour comprendre qu’elle aimait l’image d’un homme. Or une image ne peut aimer en retour : « c’est une illusion, un mirage ».

Du temps pour que Jacques C. se révèle « vissé en lui-même, silencieux, dissocié. […]  Impossible à aimer tant il était absent à lui-même ».

Elle l’avait pressenti, et voit avec amertume se confirmer son intuition. « Je n’étais pour lui qu’un miroir où il s’aimait à loisir ».

Nous suivons C. quittant Paris pour une mission en Guyane, cours et ateliers d’ethnographie dans des écoles, organisée par un ami de longue date, Théo, en poste depuis un an à la direction des Affaires culturelles.

Elle vivra à Cayenne de beaux moments. Le plus fulgurant : la retransmission en direct du lancement d’une fusée Ariane depuis la base de Kourou. Nouera des relations chaleureuses, sans que s’éteigne son dialogue intermittent avec Jacques C.

Du cimetière de Cayenne, elle s’interroge avec mélancolie : « Tant de façons de faire le deuil d’un être aimé. Laquelle pour un amour non partagé ? »

Un amour non partagé qui habite un livre dont nous nous souviendrons.

Francine Ghysen