Sous son emprise

Isabelle BIELECKI, La maison du Belge, M.E.O., 2021, 232 p., 18 € / ePub : 11.99 €, ISBN : 978-2-8070-0270-8

bielecki la maison du belgePoétesse, nouvelliste, dramaturge, Isabelle Bielecki est aussi romancière et elle a obtenu le Prix des amis des bibliothèques de Bruxelles pour Les mots de Russie, paru en 2005. Largement nourri de son expérience personnelle, La maison du Belge, son nouvel opus, revient précisément sur les conditions dans lesquelles a été écrit ce roman primé.

L’essentiel du récit s’articule sur l’activité littéraire et surtout sur la relation d’Elisabeth, personnage central et double de papier, avec Ludo, un homme plus âgé qu’elle dont le charme l’a conquise. Elisabeth n’a pas fait de l’écriture son activité professionnelle principale. De formation économique, elle exerce un métier lucratif dans une société où elle côtoie avec assurance les chiffres alors que tout en elle la porte vers les mots, même si le doute s’empare d’elle dès qu’il est question de sa reconnaissance comme écrivaine. Ludo est un homme d’affaires aux activités nébuleuses, une forme de passion les unit, entrecoupée d’absences de cet homme qui sait se faire désirer et qui se montre tantôt distant, tantôt pressant. Il aime afficher son aisance matérielle, multipliant les invitations de dernière minute au restaurant, les séjours à l’hôtel, les voyages de rêve. Sa relation avec Elisabeth est placée sous le signe de l’inégalité qu’il ne manque pas d’entretenir sournoisement par ces cadeaux. Le pouvoir qu’il prend sur elle passe aussi par l’entremise qu’il prétend assurer auprès des acteurs culturels dont il est le mécène. Mais il est absent aux premières de ses pièces de théâtre ou vit mal toute mise en avant de sa compagne. Il faut cependant constater que ses promesses rarement suivies d’effets ont surtout pour résultat de maintenir Elizabeth dans une attente perpétuelle propice à alimenter ses doutes. D’autant que Ludo, tout en la traitant comme une princesse intermittente, passe rapidement de la séduction aux propos condescendants. Il n’en faut pas plus pour ajouter au malaise de sa compagne que taraude un passé avec lequel elle a encore des comptes à régler. Les quelques amies auxquelles elle se confie la mettent en garde, l’incitant à prendre ses distances vis-à-vis de cet homme qui souffle le chaud et le froid.

Isabelle Bielecki a consigné les étapes de cette relation toxique en séquences successives qui permettent de bien suivre le parcours d’Elizabeth. Elle parvient à nous faire partager la vie en dents de scie d’une femme sous dépendance, confrontée à sa propre solitude, portée par les bons moments avec Ludo, détruite par d’autres, pointant son incapacité à lui opposer un refus lorsqu’il l’invite brusquement après une longue absence, selon son bon vouloir, l’obligeant à lâcher l’écriture.  Portée par l’amitié désintéressée, par l’écriture et par la vie professionnelle qu’elle a maintenue envers et contre tout, Elizabeth se fortifie peu à peu et part à la reconquête de la vie.

Il n’est guère aisé d’expliquer les rouages minuscules de la maltraitance psychologique et c’est le mérite certain de ce roman qui contribue assurément à en comprendre les mécanismes pervers. Il met aussi utilement en lumière la fragilité du ressort qui permet à des femmes et à des hommes de prendre la plume, de peaufiner un texte et, un jour, de soumettre leur œuvre au regard des autres.  Dans ce parcours incertain,  la bienveillance des conjoints et amis est souvent déterminante comme le confirment les dédicaces et remerciements dont sont assorties la plupart des œuvres, même lorsqu’elles sont signées des plus grands noms de la littérature.   

Thierry Detienne