La Poésie, eau souterraine et vive

Gérald PURNELLE, L’eau souterraine. Lectures poétiques, Académie royale de langue et de littérature françaises, 2021, 262 p., 14 €, ISBN : 9782803200580

purnelle l eau souterraineQu’ils soient au départ des préfaces, des études, des chroniques (comme celle qu’il tient dans la Revue générale), des hommages ou encore des allocutions, les textes qui composent le dernier recueil de Gérald Purnelle forment un ensemble d’une profonde cohérence, davantage essai discursif que simple collationnement d’articles. La rigueur universitaire s’allie en effet à la sensibilité personnelle dans ces tentatives d’approche, qui cernent la voix, éprouvent le souffle, puis plongent vers le cœur de chaque poète singulier, là où se tient le Poème pluriel.

En préambule, Purnelle définit la dynamique de la poésie comme un mouvement circulant entre les pôles, contradictoires et complémentaires, de l’écriture, du texte et de la lecture. Les mêmes que ceux de la littérature ? Oui, si ce n’est que la triangulation se situe sur un autre plan, « à distance » comme aurait volontiers souligné Michaux. L’œuvre poétique ne circule pas dans un champ de reconnaissance symbolique aussi maillé que celui du roman ; elle échappe, par sa rareté même, aux circuits institutionnalisés. Elle se situe dans une dimension intime, où le dire est toujours supérieur au paraître – ce verbe étant pris dans ses diverses acceptions…

Voilà pourquoi il n’y aura pas de réticence à parler ici ouvertement d’émotion, et les cinq pages, pas plus, que Purnelle consacre à ce sujet sont définitives : « L’émotion poétique est le moment d’une coïncidence multiple et stratifiée. On peut certes dire qu’y coïncident (y tombent en même temps) un objet et une expression, une forme et un sens : mais c’est d’abord la coïncidence de soi avec de l’autre qui s’y produit ». Le constat est empirique : alors qu’il faut parfois franchir de multiples portes, sévèrement gardées, avant d’atteindre (éventuellement) un romancier, les poètes peuvent être approchés, croisés, rencontrés, par hasard, par bonheur. Le dialogue avec eux relève d’une lumineuse évidence. Il appartenait à Gérald Purnelle de rappeler cette sublime simplicité, lui qui aura côtoyé pendant des années Jacques Izoard avant de devenir l’éditeur de ses œuvres poétiques complètes.

Ce que Purnelle aime chez Izoard, et qu’il retrouve chez d’autres, c’est une expression en prise directe avec la vie. Une sensualité non médiée, qui ne prétend déboucher sur aucune transcendance. Chez Jacqmin, elle acquiert une dimension métaphysique ; chez Jaccottet, elle se fait recherche de justesse ; chez Toulet, elle est toute lucidité ; chez Ponthus, elle se fait violence ; chez Ovide, elle module l’immortelle élégie de nos exils… Chez tous, elle se mène comme la seule expérience qui vaille, celle d’être au monde.

Frédéric Saenen