Jean d’Amérique : pulvériser par la lumière

Un coup de cœur du Carnet

Jean D’AMÉRIQUE, Soleil à coudre, Actes Sud, 2021, 134 p., 15 € / ePub : 10.99 €, ISBN : 978-2-330-14889-8

jean d'amerique soleil a coudre« Des lueurs corrosives emprisonnent les bords de ma vie, me rongent jusque dans les profondeurs. Peau livrée au chant des épines, je suis comme enfouie dans un immense labyrinthe et ne sais d’où viendra enfin une brèche pour m’esquisser un horizon. »

Motus et bouche cousue, Tête Fêlée est amoureuse de sa camarade de classe, Silence. Si pour Tête Fêlée et pour Silence cet amour est aussi secret qu’évident, le monde autour l’est beaucoup moins – et c’est avec lui qu’il s’agit de tenter d’en découdre. Le monde autour est peuplé de violence – Beretta dégainés dès la naissance, litres de rhum ou de bières enfilés à la chaîne pour supporter les coups du destin et les frappes de l’autre, liquidations permanentes des êtres et exploitation de la misère de toutes les possibles manières –, violence généralisée que figure, dans Soleil à coudre, le lieu d’un bidonville haïtien baptisé « Cité de Dieu ».

Il faut dealer dans ce « quartier pourri » avec « Papa » et l’« Ange du Métal », supporter l’instruction au « Crédule Séminaire Sainte Faciale », subir les assauts du « Seigneur des Entrecuisses », voir le « Politicien dont le cul est fabriqué pour toutes les chaises » écouler la verge de son petit pouvoir dans les fesses de sa mère, « Fleur d’Orange ».

C’est là où la langue, pour Tête Fêlée qui recommence et recommence une lettre qu’elle veut adresser à la fille dont elle est amoureuse où elle tente de « coudre un horizon à l’image de son vœu pour Silence », devient résistance. C’est là où la langue, à travers l’écriture de Jean d’Amérique, s’alternant rythmiquement entre phases du soleil et de la lune, s’affirme pleine puissance pour contrer les atrocités, tenter d’abolir les frontières et les départs croisés.

Et, dans Soleil à coudre, c’est là où la langue se scande à la mesure exacte de l’amour. Chaque phrase de ce roman est taillée dans une langue rouge amoureuse d’où sourdent des cris à même de pulvériser le son des carabines et des gaz lacrymo. Impossible d’en sortir indemne car, au bout de chaque phrase, se trouvent l’abîme, une lettre et la vie.

Presque conjointement à son recueil poétique Atelier du silence (Cheyne éditeur, 2020) et à sa pièce théâtre Cathédrale des cochons (Éditions Théâtrales, 2020), ce roman parachève la révélation de la voix de Jean d’Amérique. Cette voix a émergé au travers des recueils Petite fleur du ghetto (initialement paru à l’Atelier Jeudi Soir en 2015, puis reparu aux éditions Maelström en 2019) et Nul chemin dans la peau que saignante étreinte (Cheyne éditeur, 2017). Loin de mettre un terme définitif à son éclosion, Soleil à coudre de Jean d’Amérique imprime la marque d’une véritable vocation, d’une voix terriblement singulière qui, à n’en pas douter, révélera toujours de puissantes corolles.

Charline Lambert