Le festin de Dominique

Un coup de cœur du Carnet

Dominique COSTERMANS, Les petits plats dans les grands, postface de Sarah Béarelle, Weyrich, 2021, 136 p., 14 €, ISBN : 9782874896132

costermans les petits plats dans les grandsDominique Costermans nous invite à une vraie fête des sens tout en entrouvrant une fenêtre sur son intimité familiale dans ce livre atypique, Les petits plats dans les grands. Il renoue avec un genre que pratiquaient nos grands-mères et arrière-grands-mères. Allègrement, on l’espère pour elles, comme c’est le cas ici.

Ce recueil, le septième de textes courts ou de nouvelles dont Dominique Costermans est devenue coutumière, se situe à l’intersection de deux familles, celle d’où vient l’auteure et celle qu’elle a ensuite formée. Raison pour laquelle elle utilise par moments le tutoiement derrière lequel nous devinons qu’elle s’adresse à l’une de ses filles auxquelles le livre est dédicacé.

À travers la cuisine et l’écriture, ce livre est un geste de transmission entre deux générations, geste porté à la fois par une activité on ne peut plus quotidienne et l’art de la fondre dans des mots. Une autre « passation, intime, toute familiale » se jouera également loin des maisons parentales autour de l’abdication du roi Albert apportant une touche historique et belgicaine aux situations évoquées. Cela se passe à l’Academia Belgica, une villa romaine ouverte à de jeunes chercheurs et chercheuses belges ainsi que des artistes, un endroit d’émulations diverses où se forment également de nouvelles… familles. D’esprit et plus si affinités ! Dominique Costermans y propose à ses compatriotes sa recette que l’on devine fameuse (nous n’avons pas eu l’occasion de la goûter) de l’Américain national, suivi d’une mousse au spéculoos et mascarpone belgo-italienne concoctée par sa fille ! Un livre assurément sur les multiples liens et filiations qui peuvent nous unir autour d’une table.

Ce livre a aussi le mérite de nous faire voyager et de montrer combien la cuisine est au cœur de la diversité culturelle. Nous découvrons les habitudes sucrées-salées au petit-déjeuner des uns et des autres, le bodding bruxellois, le sirop de Liège, le choco Kwatta, les soixante quatre-quarts annuels préparés pour les anniversaires de sa famille par une mère qui ne savait pas cuisiner, le bortch (prononcez « borch-t-ch » à la russe) ou le barszcz (prononcez « bartch » à la polonaise), les zrazys selon Julek, la lasagne aux artichauts de la femme du commissaire Brunetti, le minestrone et la ratatouille familiale, la gastronomie péruvienne aux influences multiples, la moambe de Castelnaudary et même une bolognaise congolaise ! Ce recueil nous fait voyager comme souvent quand il s’agit d’art culinaire, mais s’enracine tout autant dans nos identités belges, singulièrement celles qui nous lient au Congo dont la ville de Bukavu, ex-Costermansville, a été fondée par un aïeul de l’auteure. Comme livre parsemé de souvenirs, Les petits plats dans les grands est également marqué par la nostalgie : « On ne quitte pas à la fois l’Afrique et l’enfance sans y laisser des traces », par le temps qui file : « Les années passent, nous vieillissons, les gâteaux ne changent pas » et par une mémoire collective, comme l’écrit justement Sarah Béarelle dans sa postface : « Version d’un vécu énoncée à la fois par une voix d’auteure et de narratrice, sa textualité se bâtit sur des trésors amoncelés, une mémoire singulière qui touche au monde commun, intersection du privé et du public, du personnel et du collectif. »

Même si l’auteure le qualifie elle-même d’anti-manuel de cuisine, elle le place sous le marrainage de trois illustres prédécesseuses, s’inscrivant de la sorte dans une lignée supplémentaire : l’illustre helléniste belge Marie Delcourt et sa Méthode de cuisine à l’usage des personnes intelligentes (Baudé, 1947), notre autre compatriote, poète et essayiste féministe, signataire de La cuisine de Claire Lejeune (Le taillis Pré, 2015) ainsi que Duras et sa Cuisine de Marguerite (Benoît Jacob, 1988). Comme quoi il n’y a pas de littérature innocente même quand il s’agit de cuisine…

Michel Torrekens