Voyage au cœur des désirs contrariés

Isabelle FABLE, Les couleurs de la peur, M.E.O., 2021, 140 p., 15 / ePub : 9.99 €, ISBN : 978-2-8070-0283-8

fable les couleurs de la peurDans chacun des dix récits qui composent son dernier recueil, l’autrice bruxelloise Isabelle Fable habille l’angoisse d’une teinte nouvelle. Publié aux éditions M.E.O., Les couleurs de la peur traverse les lieux et les époques à la recherche des plus sombres recoins de la psyché humaine, arpentant l’imaginaire dévoyé de rêves qui ont mal tourné. C’est une lecture de soirs lourds où frémit la frontière entre fiction et réalité. Une lecture de lieux déserts et mal éclairés, lorsque le silence laisse place au murmure désordonné de toutes les histoires glaçantes qui gisent au fond de la mémoire, n’attendant qu’un bruit un peu trop irrégulier pour se réanimer.

Aiguisé au fil d’un suspense bien maîtrisé, le récit parvient à se déployer au-delà du cadre circonscrit du scandale familier. Isabelle Fable réinvestit les anecdotes qui hantent, les « et si… » qui assiègent, lorsqu’entre l’éveil et le sommeil l’esprit fiévreux bascule dans un entre-deux sans âge et sans limite. L’aspect baroque de ces histoires, qu’on croirait sorties tout droit de la rubrique « faits divers » d’un journal de province du siècle dernier, se voit contrebalancé par une écriture claire et précise, qui se prend parfois à chanter la nature – décor délicatement brossé sur lequel se détachent plusieurs intrigues.

Céline soupire et s’allonge, le nez au sol, le front sur ses bras repliés. Sa peau brûlée par le soleil a comme une odeur de silex. Des brins d’herbe lui effleurent les joues. On est bien ainsi, sur la terre, on fait corps avec elle, on la sent respirer. On est la terre elle-même.

Un fil rouge relie ces différentes nouvelles : la présence des femmes. De ces princesses de contes de fées dont, au premier regard jeté à leurs longs cheveux blonds comme les blés, de jeunes hommes tombent transis d’amour. Belles, cela semble aller de soi, mais aussi tourmentées : leur beauté camoufle une part sombre, un besoin d’action que ne laissait pas supposer l’apparence lisse d’une prétendue passivité. Sans pour autant échapper au destin que leur trace la société, les héroïnes d’Isabelle Fable esquivent le pire ; celui-ci, bien souvent, prend la forme d’un homme : vampire ou scientifique détraqué, empereur despotique ou randonneur à l’humour contestable. Sous la peau de ces femmes bouillonne une rage sourde, un désir de violence et d’émancipation qui, sans être pleinement réalisé, se devine au gré des pas de côté qu’elles tentent. 

Entre étrange et épouvante, faux-semblants et véritables cruautés, Les couleurs de la peur déploie toute une palette de sentiments contrastés, de désirs et de pulsions brutales qui se matérialisent dans des récits ambigus, histoires troubles auxquelles on ne pourra pas s’empêcher de revenir lors des prochaines nuits d’insomnies.

Louise Van Brabant