Le potentiel révolutionnaire des filles

Un coup de cœur du Carnet

Christine AVENTIN, FéminiSpunk. Le monde est notre terrain de jeu, Zones, 2021, 136 p., 15 €, ISBN : 978-2-355221-64-4

aventin feminispunk« Christine Aventin est une fille un peu gauche ; un écrivain contrarié. De genre littéraire fluide, elle publie au même momentScalp(poèmes) – (à l’arbre à paroles, collection « if ») ». Ainsi se présente l’autrice dans les deux livres, signés de sa main, qui ont paru cette année.

Tout commence avec : t’écrirais pas un truc sur le féminisme punk ? ou comment les copines anarcaféministes, à qui manquait une définition, ont un jour interpellé Aventin. FéminiSpunk est sa « réponse ». Un essai – à prendre au sens de « tentative de bricoler [une] histoire » – pour lequel l’autrice est rentrée tout entière à l’intérieur du mot féminiSpunk.

Ce mot où l’on entend Féminisme. Et Punk. Des mots chargés qui laissent présager un vaste programme de définitions de concepts venus de l’underground de la politique. Or il n’en est rien. Ou pas comme ça, du moins, pas comme un manifeste ou une tentative de faire système. Non. D’abord parce que Christine convie Fifi Brindacier (oui, la gamine aux taches de rousseur et tresses hirsutes créée par Astrid Lindgren, qui marche à reculons pour éviter d’avoir à faire demi-tour) pour faire entendre à celles et ceux qui ne sont pas déjà dans le milieu le potentiel révolutionnaire des filles. Ensuite, parce que son essai est davantage un hybride où Aventin invite ses amies (Snoeg, les Grrrl, Monique Wittig, etc., toutes citées en exergue) à prendre la parole.

Le projet ? « Faire surgir de Fifi l’improbable mais possible refuge d’une réponse habitable pour les copines » ou comment, partant de Fifi, Christine nous mène au politique.

Réflexion anti-conformiste en six chapitres, FéminiSpunk nous rappelle d’abord comment la langue est notre premier terrain de jeu (What’spunk). La langue, nécessaire outil insurrectionnel : Fifi « parle en roue libre, sans soucis de correction, de répétition ni de registre, avec la conscience pourtant des codes et, partant, des enjeux qu’il y a à les faire voler en éclats ». Et Aventin de souligner l’importance d’inventer les « mots qui manquent (Fifi crée le mot Spunk), détourner ceux qui marquent […] [pour] dégripper [la] mécanique identitaire ».

Dans Reclaim, Aventin nous apprend comment Hachette (à qui on doit la version française de Pippi Langstrump) a procédé, à l’époque, à de larges coupes dans le texte original, arguant, pour se justifier de ce que Christine qualifie de « clitoridectomie », que « la bonne morale devait régner sur la littérature jeunesse ». Aventin souligne là le potentiel subversif de la fiction, son enjeu politique car (et c’est en ça que Fifi est l’inventeuse (oui !) du punk), Fifi est plus forte que la « camisole mentale » d’Hachette, Fifi qui a tout fait « péter à partir de la niche culturelle la plus mineure, la moins légitime qui puisse se concevoir : celle de l’édition pour enfants spécifiquement destinée aux filles ». Il n’y a pas que là, d’ailleurs, que Fifi s’insubordonne. Dans No Hero but clito, Aventin montre, à sonder la notion d’héroïne, comment Fifi « échappe à toutes les tentatives de récupération ». « Quand le système croit utiliser Fifi, c’est Fifi qui l’utilise ». Où Fifi, en ne se soumettant pas, a le statut de sauveuse de vie féminine intemporelle et transgénérationnelle. Fifi qui ouvre la voie. Qui montre une manière d’être par le « simple plaisir d’être soi, libre de ses goûts, de ses envies, de ses rythmes ». Ou « comment rester vivante à l’intérieur du grand mixeur ».

Comment s’y prend Fifi ?

Par contagion. Ou quand tu te fais passeuse, à tromper les surveillances et infecter le corps social, à chercher « comment et avec qui faire alliance sur quoi », à faire confiance aux forces minoritaires, à être émue en meute « la forme la plus jouissive du rapport de forces », à éprouver le potentiel révolutionnaire des filles. Où filles s’entend comme « un retour possible à la source – non pas d’une identité, mais d’une expérience (la solitude), à partir de laquelle construire [une] complicité sororale ».

FéminiSpunk ou Fifi Brindacier comme point de départ pour interroger les postures quant aux questions de fond telle la difficulté d’appréhender la catégorie – qui toujours échappe – que désignerait le mot femme, telle, aussi, la délicate question du racisme et des conditions de possibilités d’un féminisme intersectionnel (héritières). Aventin ne cache pas la difficulté d’embrasser ces enjeux, mais elle n’a de cesse de nous renvoyer à Fifi l’éclaireuse qui montre comment être fille et révolutionnaire et dans le monde. Notre vaste terrain de jeu.

Amélie Dewez