Bienveillance sous surveillance

Vincent LITT, Soleil rouge sur Badényabougou, Murmure des soirs, 2021, 247 p., 19 €, ISBN : 978-2-930657-73-8

litt soleil rouge sur badenyabougouLe récit de Vincent Litt commence sur une scène forte où l’on découvre Eduardo et Manon, blessés et cachés dans un endroit où ils craignent pour leur vie. Nous retournons alors en arrière pour comprendre les différentes étapes qui les ont menés jusque-là.

Eduardo est un médecin européen idéaliste qui a proposé spontanément son aide en Afrique. Il a atterri dans un dispensaire sahélien, où il déploie une belle énergie pour soigner les autochtones, malgré le manque criant de médicaments et d’aide aux démunis. Travaillant de concert avec son ami Sanoussi, il crée une pharmacie autogérée et met en place un système sécurisé d’évacuation pour les cas graves, dans une communauté où rien n’est jamais vraiment clair.

Qui était dans la dèche ? Comment savoir ? Des éleveurs richissimes portaient des vêtements rapiécés et cachaient des liasses de billets dans les poches de leur gandoura élimée, des familles entières ne mangeaient pas à leur faim et dissimulaient leur pauvreté derrière des vêtements soignés.
Sanoussi savait qui était qui. Quelques questions lui suffisaient à préciser d’où venaient les gens, la taille de leur troupeau ou celle de leurs champs. Il croisait les informations, faisait référence à des personnes connues. À d’autres endroits dans le monde, on avait des systèmes informatisés de sécurité sociale. À Badényabougou, l’ordinateur central, c’était Sanoussi.

Le quotidien n’est pas simple pour ce jeune toubab qui découvre la réalité du terrain, loin des clichés véhiculés par les médias. Il n’en finit pas de tenter de comprendre le monde dans lequel il vit désormais, conscient que de nombreux éléments lui échappent.

Discutant un jour avec Nello de ces manières si différentes de traiter les maladies, je m’étais aussi rendu compte que procéder par hypothèse comme je le faisais était un luxe que je pouvais me permettre en tant qu’étranger mais que les médecins nationaux devaient, eux, se montrer d’emblée sûrs de leur coup.

L’atmosphère devient plus pesante lorsque des bandes armées à la solde des djihadistes s’infiltrent dans le Sahel et qu’ils débarquent chez Eduardo avec une attaque à main armée qui ébranle le médecin. Il ne l’a pas encore compris, mais en réalité il est une cible idéale pour eux car il circule partout et tout le monde l’apprécie. En bref, il dérange. Il représente en effet tout ce que la loi islamique condamne : le symbole de l’État, du progrès et de l’occidentalisation.

À travers son roman Soleil rouge sur Badényabougou, Vincent Litt nous donne à lire avec un style sensible et un regard analytique la complexité d’un microcosme où règnent la corruption, les bras de fer, les menaces et tentatives d’intimidation en plusieurs déclinaisons. Nous comprenons l’atmosphère dans laquelle Eduardo doit travailler et les enjeux dans lesquels il est engagé bien malgré lui.

Pour Jamal, […] j’étais en danger. Je donnais l’impression de narguer les miliciens. Il était persuadé que c’était moi qui étais au départ visé, que c’était moi que les malfrats voulaient enlever, mais j’étais difficile à attraper. Pour aller à l’hôpital, je circulais dans les rues combles et en dehors de cela, mes déplacements dans la bourgade étaient imprévisibles. Sur les routes, Lasséni et ses hommes veillaient. Il ne m’aurait d’ailleurs plus laissé circuler seul sur les pistes qui menaient à Badényabougou. […] De l’autre côté de la frontière, je n’aurais pas non plus été en sécurité. […] Jamal avait décidé de dévier ma route, instruction avait été donnée au docteur Sanogo d’orienter Amin vers ce village perdu. Ensuite, nous devrions, Fatimé et moi, le rejoindre dans son nid d’aigle. Cette décision de Jamal était dure à entendre, j’avais l’impression qu’il allait trop loin, que ses précautions étaient excessives, mais il connaissait mieux que moi cet environnement de brigandage et de violence.

Même s’il est épié de toutes parts, Eduardo n’aura de cesse de puiser dans ses réserves d’énergie pour rester en contact avec son désir d’aider les autres. Face à l’entrée en guerre qui agite le pays, il est désormais privé sournoisement de liberté, sous surveillance du ministère de l’intérieur et d’une bande de rebelles. Un beau roman qui nous invite à appréhender l’altérité sans jugement. On regrettera toutefois les coquilles qui ternissent le plaisir de la lecture.

Séverine Radoux