Imperfectible finesse

Un coup de cœur du Carnet

Gwen GUÉGAN, Confidences, Chat polaire, 2021, 86 p., 12 €, ISBN : 978-2-931028-08-7

guegan confidencesUn titre tel que Confidences est sans danger, voire courant, mais il est intimement engagé, jamais innocent. D’autant que sur la couverture, un cœur noir aux traits clairs est mis sous cloche de verre et posé sur sa base rouge sang. Nulle doute que Gwen Guégan, bruxelloise de cœur et bretonne de corps, se montre ici sans peur et sans reproche, et frontale : toute de contrastes forts, de lignes nettes et limpides en noir et banc surtout, ou en trichromie tout au plus : noir, blanc et rouge ou bien noir, blanc et un turquoise profond.

Je vis seule avec Eliott, 8 ans, une semaine sur deux
Je vais fêter mes 42 ans sans contact physique

Avec autant de textes que de dessins en un joli format carré, tous d’une folle simplicité, d’une intelligente invention, d’une évidente poésie, l’illustratrice révélée lors du premier confinement par les réseaux sociaux, confirme par ce premier ouvrage solo un trait parfait pour ses propos, au point de directement devenir l’équivalent d’une trace ; comme l’on dirait d’un film instantanément culte. Ses dessins sont d’une élégance si précise, d’une finesse si précieuse et d’une évidence si douce que le lecteur — spectateur –, ne peut qu’y adhérer, s’y projeter, s’y fondre et s’y reconnaitre ; personnellement.

Sonder sa pensée clandestine
S’abandonner et se liquéfier

Voyez par exemple ce petit poisson coincé et flottant dans une bouteille à la mer d’un calme absolument plat. Page d’en face : Confinement Jour 19 / Journée sans / sans … / Avec des pancakes / et du sirop d’érable. À peine quelques lignes et quelques lettres dans deux carrés blancs, c’est exactement ce qui nous est arrivé à tous. Un universeul moment de solitude immobile. Autre moment réal-magique : le corps hachuré en noir d’un enfant au garde-à-vous, plein d’étoiles s’échappant de la tête au ciel. Une citation de Nietzsche explique : Il faut porter encore en soi un chaos / pour pouvoir mettre au monde une étoile dansante.

Confinement Jour 36, c’est Alice en pyjama au pays du sommeil : deux jambes géantes sortent par les portes d’une maison trop petite, ainsi que des cheveux en queue de cheval et deux bras par les fenêtres. Confinement Jour 44, l’auteure n’est plus qu’une silhouette vide, toujours au centre de son carré blanc cadré, désespérément plein et blanc, avec ce commentaire :

Je suis sous-vide
(…)
Peau
Frontière
Souffle
Ligne.

Superbe : splendide évocation d’une exceptionnelle justesse et contemporanéité. Quelques traits, trois couleurs, une explosion de sens, de sentiments, d’émotions. Et naissance d’une formidable poétesse.

Tito Dupret