« Déambulons dans le non-dit »

Un coup de cœur du Carnet

François LIÉNARD, Lieux dits, Collages de F. Liénard, Âne qui butine, coll. « Xylophage », 2021, 230 p., 22 €, ISBN : 9782919712274

liénard lieux dits« On ne part pas » décrétait, dans Mauvais sang, celui que l’on surnommait pourtant « l’homme aux semelles de vent ». C’est que le rapport du poète au voyage est contrarié, du fait qu’il est voyant : il est moins un corps qu’un regard qui se déplace. Les décors se muent en mots, les façades ne dissimulent jamais qu’elles-mêmes, tous les artifices des villes sont dénudés en un clin d’œil…

François Liénard, vous connaissez ? Mais si… Vous l’aurez croisé dans quelque train entre Bruxelles-Midi et Charleroi-South ou vers Mons via Buizingen, ou encore à la jetée d’Antwerpen, à Lisbonne, à København, à Venise, ou dans quelque ville-musée « Inscrite au Patrimoine mondial d’une / Humanité qui ne se reconnaît plus », ou dans des confins moins accessibles encore, Châtillon, Virton-on, Arlon.

François Liénard, vous gagneriez à la connaître. Ils sont rares, les lyriques qui déhanchent leur phrasé aussi juste, et parviennent à transformer chaque non-lieu en lieu-dit. Ses proses, ses vers libres, laissent la poésie renouer avec ses fondamentales errances. Trop facile d’invoquer la Beat generation pour qualifier le rythme avec lequel il bat le pavé gaumais ou new-yorkais ; trop commode même de convoquer Paul Morand pour trouver, dans le domaine français, un équivalent de son goût immodéré du mouvement, parfois de l’accélération – qui n’est pas forcément synonyme de vitesse…

Par bonheur, Liénard ne souffre d’aucun de ces deux maux contemporains, la bougeotte et le bougisme. De la première, il se prémunit par l’absorption intense dans l’instant ; si son allure était le galop, il ne prendrait pas le temps de se camper ainsi, à Cascais, face à une femme « un chemisier / En peau de poisson serré à la taille, aux reflets / Humides et bleutés, une large et longue jupe / Aux mille plis d’où émane un orange fort » tenant à la main droite une épée, et dans la gauche une éponge… Le bougisme est quant à lui une fièvre qui s’empare du touriste avant d’être arrivé à destination. François Liénard le sait mieux que quiconque, nul besoin d’aller très loin pour rencontrer l’ailleurs ; c’est l’exotisme qui est en partance, et jamais vraiment nous…

Le je affleure rarement sous la plume de cet homme discret qui a tant à à dire. « Je bricolais une année, une vie, un métier », confie-t-il à la faveur d’une fugue hennuyère en 1994. Le lecteur n’en saura pas plus. C’est assez de contexte, l’essentiel n’est pas là. Ici, là, un nous surgit, qui implique illico le lecteur, l’édifie sur les lacunes du paysage, l’installe dans le partage des déconvenues et des enthousiasmes. Le convainc définitivement que « c’est beau la région du Centre / Quand il fait froid, quand elle est seule / Et une usine désaffectée fabrique / […] un monument de haute négligence ».

Étonnant voyageur que François Liénard, à l’étonnante voix. Avec lui, vraiment, et n’en déplaise à Arthur, on part

Frédéric Saenen