Michel LAMBERT, Le ciel me regardait, Le beau jardin, Coll. « Sentinelles », 2022, 144 p., 14 € / ePub : 4,99 €, ISBN : 9782359700558
Des êtres se croisent ou se rencontrent. Les narrateurs de ces dix nouvelles retrouvent de vieux copains, d’anciennes connaissances ou amantes, suivent des inconnus dans la rue, abordent des femmes dans un bar, exhortés par les fantômes du passé, revoient peut-être un être cher pour la dernière fois… Se sont-ils vraiment connus ? Ne se fourvoient-ils pas ? La solitude s’est le plus souvent immiscée dans leur vie : histoires d’amour terminées ou avortées, enfants devenus grands, souvenirs heureux en perdition ou souvenirs malheureux que l’on avait essayé d’oublier mais qui « surgissent tel un épouvantail et vous sautent à la gorge ». Ces hommes aimeraient que quelqu’un leur pose une main réconfortante sur l’épaule, leur dise dans le creux de l’oreille « Je suis là », et que, contrairement à l’homme qui prononce ces mots dans la nouvelle du même nom, ces personnes rassurantes ne s’évaporent pas dans la ville.
Quel faux-pas les a menés à l’échec, à la culpabilité, à la déception de soi ou des autres ? Ne peuvent-ils pas bénéficier de petits porte-bonheur ? Certains provoquent de la compassion. D’autres une gêne ou un malaise. Tels des pigeons solitaires, ils cherchent les miettes que les autres leur auront peut-être abandonnées. Certaines situations semblent désespérées « parce qu’on a laissé la mousse s’installer ». Toutefois, une solidarité ou une amitié éphémère mais sincère, surgit parfois.
Quand ils se retrouvent seuls, qu’il ne semble plus y avoir d’espoir, leurs regards se portent souvent vers le ciel, à la recherche d’un réconfort, d’une réponse. Le ciel, « ce grand plafond de nos vies » tant présent dans l’œuvre de Michel Lambert, prend une place centrale dans ce recueil. Le regard du premier narrateur (« Le porte-bonheur ») se pose sur lui, tout comme celui du dernier dans « Je suis là » :
« Le ciel me regardait. Je n’aimais pas quand il me regardait comme ça. J’avais l’impression qu’il allait me jouer un mauvais tour, en tout cas qu’il se fichait de moi. »
« Tout en marchant vers la gare, j’ai levé machinalement les yeux. Un nuage passait dans le ciel, le premier de la journée. Il avait une curieuse forme, on aurait dit qu’il représentait la lettre b, ou un 9 inversé, c’était selon la préférence de chacun, lettre ou chiffre. »
Le ciel attire tous les regards et devient un personnage à part entière. Il est comme le miroir de l’âme des protagonistes. Ses reflets sombres renvoient à un mal être, ses nuances roses à un souvenir agréable… Comme toujours, Michel Lambert nous donne à voir une palette d’émotions qui prennent forme à travers d’exquises descriptions. Le recueil est traversé par des images fortes. Chaque nouvelle contient son ou ses sublime(s) passage(s), de cette fulgurance de l’écriture « quand les mots si difficiles à venir giclent enfin, tordus, mutilés, mais en même temps d’une beauté neuve, cruelle », à ce soleil comparé à un « œil d’or ». Michel Lambert, en orfèvre des mots, possède immanquablement une technique d’écriture, un talent qui lui est propre. Il choisit ses mots avec soin, sans aucune prétention, et donne à voir des personnages justes, sensibles et terriblement humains.
À chaque nouveau recueil, on a l’impression – tout comme les personnages qu’il met en scène – de retrouver d’anciennes connaissances ou de vieux copains que l’on avait rencontrés quelques années plus tôt, au fil des pages parcourues. Chaque nouvelle est singulière, possède un instant qui lui est propre. Les personnages sont multiples et offrent une palette de saveurs connues ou moins connues. Pourtant une nuance « lambertienne » revient systématiquement. On retrouve avec délice ces âmes fêlées, parfois torturées, et malgré leurs faiblesses, on goute chacun de leurs mouvements. On redécouvre certains traits de caractères ou on en découvre de nouveaux. Et toujours, quand on referme le livre, on espère les retrouver très vite.
Avec Le ciel me regardait, Michel Lambert signe son onzième recueil de nouvelles, publié cette fois aux éditions Le beau jardin. Cette publication fait suite à une longue série d’ouvrages édités par le regretté Pierre-Guillaume de Roux, qui accompagné la carrière de Michel Lambert avec fidélité et amitié. La célèbre couverture blanche et bleue fait place à une jolie illustration de Vlou où nuages, soleil et ciel s’unissent dans un dégradé d’azur.
Émilie Gäbele
En savoir plus
- Michel Lambert : l’art de croquer les grands blessés de la vie (Le Carnet et les Instants n°186)
- La fiche de Michel Lambert sur Objectif plumes