« Écrire sans pourquoi »

Jacques SOJCHER, Jacki est sage, Impressions nouvelles, 2023, 149 p., 16 € / ePub : 9,99 €, ISBN : 978-2-39070-069-2

sojcher jacki est sageAvec Jacki est sage, Jacques Sojcher s’historialise et signe son premier roman. Le philosophe-artiste s’ancre – s’encre – en tant que personnage de sa vie et nous livre une autobiographie dont la prose, par la ciselure de l’écriture, simple et nue, approche parfois le poème.

Le récit s’ouvre dans sa fantasmatique vie in-utero, dans le ventre de sa mère. Jacki, couvé par celle-ci, sera celui qui naîtra dans la fourrure, au cœur de Bruxelles, le fils du père parti avec le XXIIIe convoi, dont il ne restera que des légendes, l’enfant caché devenu « Jacki Toutcourt » chez l’oncle Maurice et la tante Bertha, le gamin qui ne cessera de jouer, le petit à l’affinité accrue pour le mot petit.

Le mot petit revient souvent dans les titres de mes livres : Petite musique de chambre, Petits savoirs inutiles, Petite gloire locale. Je n’ai jamais voulu être un adulte qui progresse, qui gagne en pouvoir, en certitude. J’ai toujours aimé régresser, revenir à un état antérieur, à une origine perdue. Régresser, c’est « bégayer dans sa propre langue » (Deleuze), avoir « une autre langue sous arbre » (Artaud). Pour moi, c’est le yiddish de ma mère (que je ne connais pas, dont j’ai la musique dans l’oreille). C’est penser que « La philosophie, il faudrait n’en faire que sous la forme du poème » (Wittgenstein). C’est ne pas être un adulte qui a oublié son enfance.

Des épisodes cocasses sur les bancs de plusieurs écoles bruxelloises, une arrivée dans les auditoires de philologie romane, une thèse conclue par un point-virgule et Jacki devint Jacques, « professeur d’incertitude » à parler de philosophes, de poètes, d’auteurs, « à raconter [s]on imaginaire ». Une vie à « être le gamin qui nique l’adulte que je ne serai jamais », entouré d’amis, de femmes, des livres, en amoureux, infiniment.

D’un point de vue structurel, ce récit non linéaire est divisé en cinq parties : 0 – Vieillard débutant – Mineur – Majeur – 0. Une scansion qui n’est pas sans évoquer les trois âges de la vie et les tonalités de celle-ci. Un incipit et une clausule mis à zéro, point de départ, présence d’une absence, incarnation du vide, porte ouverte sur l’infini, ce tout à la fois. Un être et ne pas être. « Chaque récit est un construction qui n’explique rien », soutient le narrateur.

Un tissu composite d’images, de souvenirs qui rendent palpable une époque, celle d’une enfance frappée par la malédiction de la guerre, des chemins de traverse bruxellois qui débouchent sur la réglisse en lacet, les genoux crottés et les jeux de billes, le temps des compétitions du plus gros engin, celui du journal Tintin et des Jules Verne dans la collection verte. La Foire du Midi, le beschaaft nederlands, Mai 68, la Saint Verhaegen, les concours d’éloquence, l’Albanie nouvelle, etc. Des « je me souviens » dont le désir est aiguillon.

Mère, plus le temps passe, plus je t’oublie. Je me suis libéré de mon petit nom. Je me suis allégé du poids de ton amour. Je t’ai remplacée par une théorie de femmes à qui je demandais de n’être pas maternelles, tout en désirant leurs caresses, leur douceur. J’ai fait de toi, comme dit Duras de sa mère, « une écriture courante » dans la distance de la fable de ma biographie.

Une mémoire qui se raconte avec une légèreté grave, alliant physique et métaphysique, couleurs de boniment et célébration de la jouissance, une conjuration à l’oubli, une exaltation du désir.

Sarah Bearelle

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Un  extrait de Jacki est sage

Extrait proposé par Les Impressions nouvelles