Henry Bauchau à l’U.C.L.

En juin 2006, Henry Bauchau crée l’événement en cédant à l’Université Catholique de Louvain-la-Neuve une grande partie de ses œuvres et de son travail. Cette donation constitue, pour l’auteur, une occasion de témoigner toute sa sympathie à une ville ainsi qu’à une Université qui l’ont accueilli une vie durant et l’Université, ainsi honorée, entend bien continuer à célébrer l’auteur et sa carrière en poursuivant la mise en lumière de son œuvre.

Louvain, et par la suite Louvain-la-Neuve, quand l’aile francophone de l’U.C.L. s’est établie dans le Brabant wallon,  ont traversé la vie d’Henry Bauchau à de nombreuses reprises. Les différentes époques où il a séjourné dans l’une et l’autre de ces villes lui ont offert tantôt la représentation d’une ville écrasée par la menace allemande, tantôt celle d’une ville qui se voulait le véhicule de messages engagés et le cœur du savoir.  

Louvain se présente en effet dans la vie et la carrière de Bauchau sous de multiples visages, chacun marquera l’homme de lettres à sa manière. Par exemple, lors de l’incendie de la ville où Louvain en feu frappe l’imaginaire du futur poète, événement inextricablement lié à la séparation du jeune garçon d’avec sa mère – traumatisme qui touchera inévitablement l’homme et plus tard, l’écrivain. Louvain, c’est également entre 1935 et 1939 le lieu où Bauchau réalise ses études de droit. Là encore l’atmosphère pesante de l’avant – deuxième guerre mondiale influence l’esprit du jeune étudiant et inscrira plus tard son empreinte dans l’œuvre de l’auteur qui, durant cette période, s’ est s’engagé en rédigeant divers articles publiés dans des journaux clandestins.

Toutefois, Louvain n’est pas que le lieu de souvenirs d’une « époque menaçante », comme la qualifie lui-même Henry Bauchau. C’est aussi le lieu où l’écrivain retournera quarante-huit années plus tard, en 1987, quand il revient donner cinq conférences en chaire de poétique.  Ce cycle de conférences intitulé « L’écriture et la circonstance », organisé par le professeur Michel Otten, est l’occasion de donner la parole à l’ancien étudiant devenu auteur. Cette première collaboration permettra à Bauchau de compléter le discours professoral et universitaire et d’apporter ainsi sa contribution à la recherche, mais c’est encore et surtout l’opportunité pour lui de « revenir sur sa propre histoire, de comprendre comment les choses s’étaient élaborées[1] ». À l’époque, Bauchau est déjà l’auteur de « Géologie[2] », un recueil de poèmes publié en 1958 ainsi que de « La Déchirure[3] », roman publié en 1966 chez Gallimard, pour ne citer que deux œuvres fondamentales dans un ensemble très vaste et très riche.

Louvain c’est en outre la rencontre entre une œuvre majeure d’Henry Bauchau, celle qui lui offrira une renommée internationale, « Œdipe sur la route »[4], et l’opéra[5]. En effet, le compositeur résidant, Pierre Bartholomée, mettra ce roman en voix  et le portera au Théâtre de la Monnaie. Louvain, c’est encore de nombreuses rencontres entre l’écrivain et les étudiants de l’U.C.L., autant de rendez-vous entre une œuvre qui court sur plus d’un demi-siècle et les diverses générations que cette entreprise a marquées.

Le passé comme le présent de Bauchau à Louvain permet de comprendre les motivations de ce dernier quant à son choix : s’y étant toujours senti bien accueilli, il lui semblait naturel, étant donné un lien presque familial, de donner à l’U.C.L. une grande partie de ses œuvres où elles seront, selon ses propres dires, «  en bonne place[6] ».

C’est ainsi que l’Université Catholique de Louvain-la-Neuve s’est vu offrir une importante correspondance (environ 7000 feuillets) de l’auteur avec d’autres intellectuels de grande renommée tels que Camus, Derrida ou encore Bachelard ; ses premiers poèmes restés secrets jusqu’à aujourd’hui et dès lors inédits (environ 10.000 feuillets)[7] ; les nombreuses étapes d’écriture de ses romans « Œdipe sur la route[8] » et « L’Enfant bleu[9] » ; diverses études critiques portant sur son œuvre ; de nombreux brouillons, manuscrits annotés et textes critiques de l’auteur ; sa bibliothèque et enfin un ensemble important d’œuvres iconographiques et audiovisuelles.  L’ampleur de cet héritage a permis à l’U.C.L. de constituer un fonds Bauchau,. Ce dernier a été inauguré le 9 mai 2007, à la ferme du Biéreau, à Louvain-la-Neuve.  Cette donation est intervenue suite à la nécessité pour l’auteur de quitter son domicile Passage de la Bonne-Graine pour la maison de son fils, Patrick, à Louveciennes. Ne pouvant tout emporter, il s’est décidé à céder une grande partie de son patrimoine culturel à cette université qui, au fil des années, a développé ce que l’on pourrait qualifier de «  tradition Bauchau ».

Le fonds Bauchau a pour objectifs de développer plus encore une étude déjà très riche de l’œuvre ; il permettra, entre autres, la création d’un centre de recherches autour de l’œuvre, le départ d’une nouvelle et abondante littérature critique, l’apparition de nouvelles recherches intensives, de nouveaux mémoires de licence, thèses de doctorat et D.E.A. aux approches originales ; l’organisation de journées d’études ou de colloques, ces derniers permettant ultérieurement la création d’ouvrages collectifs autour de l’œuvre ; et enfin la conception du site informatique Henry Bauchau.

Le fonds Bauchau rencontre bel et bien les trois objectifs principaux d’une université : enseigner, rechercher et offrir un service au public.  En effet, ce fonds, géré par Mme Myriam Watthee-Delmotte, chercheuse et enseignante à l’U.C.L., représente une ressource substantielle de matières à enseigner relatives à l’œuvre et au parcours de l’artiste. Il constitue encore et surtout une richesse notable et nouvelle pour la recherche ; l’œuvre de Bauchau, qui a déjà fait l’objet de nombreuses thèses et essais, notamment celles de Mme Wattee-Delmotte[10],[11] ou de M. Olivier Ammour-Mayeur[12], fait actuellement l’objet de deux thèses alimentées par ces renseignements souvent inédits.  Il s’agit des thèses de Mlle Isabelle Vanquathem, qui traite de la quête identitaire, de l’écriture de soi, dans l’œuvre de Bauchau , et de celle de Mlle Laurianne Sable qui aborde, elle, la question de l’indicible et du rapport aux arts plastiques.

Pour les chercheurs, cette donation a une valeur intellectuelle inestimable en ce qu’elle permet, entre autres, d’étudier la génétique littéraire de l’ensemble de la création d’Henry Bauchau en s’aidant des divers éclairages dont ils disposent désormais. Les doctorants et futurs doctorants possèdent les textes de l’auteur et les avant-textes qui peuvent parfois représenter, chez l’auteur, 25 réécritures d’un poème ou d’un extrait de roman avant la version définitive. Son abondante correspondance avec d’autres écrivains, artistes et amis offre également un regard neuf et qui renforce ce qu’il dit déjà de lui et de son écriture dans ses textes.  L’U.C.L. dispose aussi d’une quantité impressionnante d’articles critiques ainsi que d’articles de presse abordant les productions d’Henry Bauchau, sans compter les innombrables traductions (l’auteur est traduit dans toutes les langues européennes ainsi qu’en chinois et en japonais).

Enfin, le fonds Bauchau est accessible à un très large public, offrant à ce dernier l’opportunité inestimable de consulter l’ensemble du patrimoine cédé soit en ligne soit sur place, ce qui évite d’avoir à multiplier les endroits de collecte des informations sur l’auteur et son œuvre.  En effet, une grande majorité des renseignements sur Henry Bauchau se voient, grâce à ce centre de documentation et de recherches, réunie en un seul et même endroit, contrairement aux œuvres d’autres auteurs qui, elles, sont dispersées[13].

Voilà donc une belle entreprise qui permet la rencontre d’un écrivain toujours jeune et d’une équipe de chercheurs passionnés ainsi que la conjugaison d’une œuvre et de toutes ses ramifications avec un discours universitaire au sens très large du terme.  Grâce à ce fonds,  Henry Bauchau est et restera un auteur moderne.  Il est à noter qu’un nouveau roman de l’auteur est annoncé : « Les Mutations » (titre provisoire) ; que le 30 août a eu lieu au château de Seneffe une lecture des poèmes de « Nous ne sommes pas séparés[14] » par Benoît Théberge ; qu’en septembre, le théâtre des Martyrs a donné la représentation du « Prométhée enchaîné » d’Eschyle[15], adapté par Bauchau ; et enfin qu’en octobre « Gengis Khan[16] », pièce célèbre de l’auteur, sera repris à Paris par le Théâtre de l’Estrade.

 Valérie Polsenaere


[1] Propos de Henri Bauchau, recueillis en mai 2007 et contenus sur le DVD « Le(s) Louvain d’Henry Bauchau.  Regards sur la vie des livres. »
[2] Henry Bauchau, Géologie, Paris, Gallimard, 1958.
[3] Henry Bauchau, La Déchirure, Paris, Gallimard, 1966 ; réed.  Bruxelles, Labor (Espace Nord), 1986.
[4] Henry Bauchau, Œdipe sur la route, Arles, Actes Sud, 1990 ; rééd. Arles / Bruxelles, Actes Sude / Labor (Babel) ; Paris, J’ai lu, 2000.
[5] Œdipe sur la route, Opéra en quatre actes, Actes Sud, 2003.
[6] Propos de Henri Bauchau, recueillis en mai 2007 et contenus sur le DVD « Le(s) Louvain d’Henry Bauchau.  Regards sur la vie des livres. »
[7] En effet, le jeune poète, qui dans les années trente, n’ose pas encore s’affirmer en tant qu’écrivain conserve ses écrits sans pour autant les publier (ou alors sous un pseudonyme).
[8] Henry Bauchau, Œdipe sur la route, Arles, Actes Sud, 1990 ; rééd. Arles / Bruxelles, Actes Sude / Labor (Babel) ; Paris, J’ai lu, 2000.
[9] Henry Bauchau, L’Enfant bleu, Arles, Actes Sud, 2004 ; rééd. Arles, Actes Sud, (Babel), 2006.
[10] Myriam WATTHEE-DELMOTTE, Parcours d’Henry Bauchau, L’Harmattan, 2001.
[11] Myriam WATTHEE-DELMOTTE, Bauchau avant Bauchau, En amont de l’œuvre littéraire, Bruylant Academia s.a., 2002.
[12] Olivier AMMOUR-MAYEUR, Henry Bauchau, une écriture, une résistance, L’Harmattan, 2006.
[13] Il est à noter cependant que l’A.M.L., le Musée de la littérature, possède également nombre d’épreuves portant sur l’œuvre de Henry Bauchau.  En effet, depuis 1988, l’auteur a cédé à la Bibliothèque royale une quantité impressionnante de textes et d’avant-textes relatifs essentiellement à ses romans.
[14] Henry Bauchau, « Nous ne sommes pas séparés », Arles, Actes Sud, 2006 (Poésie).
[15] Prométhée enchaîne d’Eschyle, adaptation d’Henry Bauchau, Bruxelles, Cahiers du Rideau, 1998.
[16] Henry Bauchau, Gengis Khan, Lausanne, Mermod, 1960 ; rééd. Arles, Actes Sud, (Papiers), 1989.


Article paru dans Le Carnet et les Instants n°149 (2007)