Une poignée d’absolue tendresse
André SCHMITZ, Les cerfs-volants, Tétras Lyre, 1993 et Raclements d’ailes, L’arbre à paroles, 1994
S’il est vrai, comme l’affirmaient récemment plusieurs scientifiques anglais, que la poésie est le remède idéal contre l’angoisse et le stress, et que plus elle est noire et déchirée, plus le remède est efficace, les poèmes d’André Schmitz devraient assurément être recommandés dans toutes les bonnes pharmacies, au même titre que ceux de Blake, d’Hölderlin, de Daumal, enfin : de toute poésie qui s’écarte de la complaisance lyrique, du roudoudou d’amour et du ronron. En effet, pour sombre, violente, désespérée qu’elle paraisse au premier abord, la poésie d’André Schmitz n’en est pas moins profondément chaleureuse, revigorante, gonflée de mots qui viennent comme des chiens / lécher vos lèpres, / aboyer dans votre gorge et libérer le cœur de ses nœuds. Car le drame qu’elle assume est celui de tout homme « pris comme un rat » entre vivre et mourir et qui cherche une issue à la solitude et à l’incommunicabilité. Et qui rassemble autour de lui, en lui, les signes —faille, fêlure, fracture — ouvrant l’homme à cette vie dont Rimbaud déplorait l’absence. Pour l’amour du feu qui éclaire, brûle, purifie et réchauffe, Schmitz, enfant de l’Ardenne grise et froide, s’est fait ramasseur de feu. Tous ces cris dans la nuit, toutes ces étincelles de tendresse bafouée qui traînent dans les yeux des chiens, des prostituées, des anges d’infortune, tous ces éclairs dans la paille des jours, ces détresses, (ces) liesses, le poète « infirme, ignorant » les ramasse pour en faire des prodiges ordinaires tout de ferveur et d’émotion brûlantes. Volontiers insolent, ironique et provocateur à l’égard des conformismes de tout poil et des thuriféraires fanatiques (L’ange de l’annonciation annoncé voie trois / entrera en gare avec quelques siècles de retard), il se range aux côtés des déshérités, des mystiques et des fous pour revendiquerla folie d’une foi qui permette à l’homme d’oser a nouveau / marcher sur les eaux de l’Ecriture. Car vivre, pour Schmitz, ressortit à l’absolu. Ce n’est jamais demeurer dans « la laine de l’attente », comme des agneaux près de l’étal du boucher ou courbé, comme si la légèreté d’être était encore trop lourde, non, mais brûler
à perte de vue
à perte de livre
à perte de silence.
Cette exigence, que fouette encore la présence de la femme — essentielle dans l’œuvre de Schmitz — tour à tour amante, vierge, épouse, « exilée », « servante servie », promesse de l’absolu, qui comprend/tout sans rien savoir puisqu’elle met « la terre au monde », cette exigence donne sa force et sa couleur au vers, reconnaissable entre tous, d’un poète qui ne cesse de chercher son équilibre entre un bonheur fou et un très haut / désastre. Une voix rauque, donc, mordante, brûlée, mais essentielle et propre, comme une poignée d’absolue tendresse, à recoudre en douceur les ombres qui nous déchirent en cette fin de siècle sans boussole. A lire sans tarder, et à relire.
Guy GOFFETTE
Le Carnet et les Instants n° 82, 15 mars – 15 mai 1994