Cobra Poésie, anthologie de Jean-Clarence Lambert

Les mots secrets du cobra

Cobra Poésie, anthologie établie et présen­tée par Jean-Clarence Lambert, La Différence, coll. « Orphée », 1992, 187 p.

Collectif d’artistes, le mouvement Cobra s’était garanti à vie — même si certains, comme Dotremont. ou Jorn. n’eurent droit qu’à une trop courte ex­périmentation — contre la stagnation men­tale. En effectuant un parcours aussi bref (19-18-1951) qu’intensément libre, non assu­jetti aux pratiques marchandes des profes­sionnels de la vente — ceux-ci se sont bien rattrapés depuis —. en col n (signant sur la toile et le papier ce jaillissement spontané du geste qui rattrape l’écriture. Cobra fut bien près de réaliser plastiquement ce que Dotremont appelait « la vrai poésie : celle où l’écriture a son mot à dire ». Les perspec­tives individuelles qui s’ouvrirent à la plu­part des maillons de la chaîne Copenhage-Bruxelles-Amsterdam après la dissolution du groupe perpétuèrent également un état d’esprit plastique où le poétique avait en­core droit de parole. Il semble donc mal­aisé, autant que difficile à justifier, de vou­loir dissocier chez les uns et les autres ce qui relevait d’un langage pluriel, d’une poé­sie naturellement née à la vie. A y regarder deux fois plutôt qu’une, cepen­dant, on s’aperçoit que l’idée de Jean-Clarence Lambert de restituer en un volume les vibrations poétiques des membres de Cobra, et en tout cas de donner un aperçu non ré­ducteur de la poésie Cobra à travers quelques-uns de ses plus signifiants écrits, cette idée tient la route. Si une large diffu­sion des oeuvres plastiques de Cobra est au­jourd’hui chose faite, si la réédition, chez Jean-Michel Place en 1980. de la collection complète de la revue a permis de mieux sai­sir la démesure vitale qui agitait le petit groupe de la rue de la Paille, il n’en reste pas moins que l’œuvre poétique de Christian Dotremont. par exemple, demeure, mal­gré plusieurs parutions (comme le recueil Isabelle à La Pierre d’Alun, en 1985). encore méconnue. Ht que dire de ces Danois. Jens August Schade. Jôrgen Nash (frère de Asger Jorn). Carl Henning Pedersen. de ces Hol­landais comme Lucebert. Karel Appel ou Jan Elburg. dont les textes, publiés dans Cobra. l’étaient souvent dans leur langue originale, sans traduction ? Outre ceux-ci. Marcel Havrenne — venu du groupe « Rupture » —. Joseph Noiret, Paul Bourgoignie bientôt tous les trois dans Phantomas, mais également l’inclassable Armand Permantier, Alechinsky et Jean Raine — autre grand insaisissable — Jacques Galonné. Edouard Jaguer — futur initiateur de la revue Phases — se retrouvent côte à côte. Présentant les uns et les autres dans leur territoire d’origine, antérieurement à la fondation de Cobra. Jean-Clarence Lam­bert insiste sur un dénominateur commun, le surréalisme, pierre antagoniste mais fon­damentale sur laquelle trébucheront et/ou s’appuieront ces poètes en rupture d’ortho­doxie. Un goût parfois lassant pour certaines traditions folkloriques contrebalancé par l’expérience un peu folle d’un renouvelle­ment total de l’expérience vitale — à la­quelle on peut opposer « l’expérience conti­nue » de Nougé — ont singularisé aussi l’aventure Cobra. Dans ce petit volume, il sera davantage question de langage, jeux de mots, associations, collages, glissements de sens. Tonalité particulière, gratuitement poé­tique de Cobra, où l’écrit serait, comme le dit Uffe Harder. « une chose perdue pour la prochaine fraction d’impossible ».

Alain DELAUNOIS

Le Carnet et les Instants n° 74, 15 septembre – 15 novembre 1992