Xavier LIEBEN, Un chant si doux au cœur de la nuit

L’enfant du dédale

Xavier LIEBEN, Un chant si doux au cœur de la nuit, édition bilingue français-portugais, Tétras Lyre, 1991

La littérature est la mise en forme d’un songe, le rapport entre des mots et une histoire… Certains éditeurs prolongent cette mise en forme jusque dans l’objet même du livre. Ainsi, à l’élégance des phrases fait écho la délica­tesse d’un papier, la nuance colorée d’une couverture, l’ornement d’un frontispice. Ces qualités n’appartiennent plus qu’aux seuls artisans. Ces véritables amateurs, au sens ancien et noble du terme, fabriquent un livre tant pour le plaisir des doigts que pour le plaisir des yeux ; quand à ceux-là se joint l’esprit… Nous connaissons en France. Le Temps qu’il fait, qui publie actuellement Jean-Claude Pirotte. ou les éditions Lettres vives, pour les poèmes notamment de Christian Bobin. En Belgique ce sont Daily Bûl, Ercée… ou encore Tétras Lyre, du nom de ce rare coq-de-bruyère qui survit encore dans quelques contrées du plateau des Hautes-Fagnes. Marc Imberechts, son éditeur à Ayeneux, dans la région liégeoise, s’y distingue par des textes publiés en version bilingue, le français faisant face au portugais, à l’espagnol, voire au néerlandais. Et le livre s’orne d’une gravure originale, espace et technique privilégiés dont le Liégeois Dacos est un des farouches défenseurs. Un chant si doux au cœur de la nuit est le douzième titre de l’éditeur, c’est aussi le premier texte de Xavier Lieben. Récit interne plus qu’intime d’un jeune homme qui relate ses pérégrinations portugaises à la suite d’une femme. Exotique errance entre alcools exotiques, en mémoire à d’an­ciennes colonies lusitaniennes. Pour fil d’Ariane, il a les mots inscrits sur des billets signés d’un quartier de lune. Il tient à ces mots ; il nous tient par eux, qui le révèlent dans les désordres d’un mental en quête. La rencontre d’un enfant l’extraira de lui-même. Comme il se doit clans ce qui relève de la maturité. L’ensemble manque encore confusément d’équilibre. Le mental domine un corporalité échappée, une « sensation » inaboutie qui fragilise un verbe pourtant riche et entraînant dans sa poétique du déplacement. « De lecteur, il me faut donc devenir acteur, commencer à donner. » Nous recevrons.

L.D.M.

Le Carnet et les Instants n° 71, 15 janvier – 15 mars 1992