Arthur PRAILLET, Poésie

Arthur, dans l’orbe des oiseaux

Arthur PRAILLETPoésie, présentation d’André Doms, L’Arbre à paroles, 1993

Il y a plusieurs sortes de poètes comme il y a plusieurs sortes de Peaux-Rouges. Il y a les éclaireurs et il y a les éclairés ; ceux qui se battent avec fracas au-dehors et ceux qui se battent contre eux-mêmes en silence ; ceux qui font la roue sur la barre de l’horizon en attendant le retour de l’écho et ceux qui regardent la roue et dépassent l’écho. Il y a ceux enfin qui marchent dans les sentiers battus, dans les sentiers courus, et ceux qui toujours se refusent à marcher « dans une file indienne. » Arthur Praillet faisait partie de ces derniers, par nature autant que par choix. De là vient qu’on le méconnaisse ou qu’on l’ignore. Heureusement, il a, de son vivant, confié aux herbes, comme le vieux Midas, le plus gros de son secret, et les herbes qui sont ba­vardes et plus tenaces que le béton des villes ont répété son nom. Et L’arbre à paroles a recueilli toutes ses voix dans un gros vo­lume élégant qui fait honneur à cette jeune maison courageuse.

Arthur Praillet ressemblait à Ernst Jiinger, avec sa couronne de cheveux blancs et sa taille de jeune roseau qui plie mais ne rompt pas, mais il chantait comme Basho, Tu-Fu ou Li-Po. Il ressemblait aussi à un sachem qui n’aurait jamais cessé de tirer sur son calumet. Il lui arrivait aussi de ressem­bler au cerisier en fleurs, à la grive, au ruis­seau, surtout quand le poème était dans l’air alentour et n’attendait que sa main pour se poser. Il oubliait plus souvent de se ressembler, obsédé qu’il était par la pureté de sa voix, par sa justesse, revenant sans cesse sur ce qu’il avait écrit, doutant de lui jusqu’à la déchirure, jusqu’au silence. On lira dans l’excellente présentation du vo­lume par André Doms, son ami et complice, tout le détail de ce long combat du poète contre lui-même, et comment et pourquoi l’ami d’Hellens, de Charles Lierens, d’Henri Storck, le compagnon du Disque vert ressuscité, le correspondant de Ponge et de Michaux, le traducteur d’ita­lien, l’imprimeur-typographe de la collec­tion Le verger a fui le monde littéraire pour s’enfermer à Marcourt dans la compagnie des hirondelles, avec le grand amour de sa vie.

La voix d’Arthur Praillet, si elle a mis long­temps à trouver le registre qui lui est propre, et son timbre et ses inflexions, est assurée de durer par sa capacité de silence, de profondeur et d’écoute. Moderne comme l’herbe qui n’arrête pas d’être neuve, elle frissonne et murmure dans l’orbe des oiseaux. Elle chante la femme aimée, les humbles outils, la familiarité des choses, des êtres, la solitude, les combats de la parole avec le fond de l’âme. Attaché à la beauté du monde qui l’émerveille, Praillet en vieux jardinier qui s’endort au pied de la rosé qu ‘il a si longtemps servieentrouvre, avec les mots les plus simples, les mots de tout le monde, les portes d’un pa­radis perdu : la présence au présent. Et comme

Le poème s’adresse toujours à quelqu’un qui l’attendait déjà

 et que

Ce qu’ils se disent dépasse de loin tout ce qui est écrit et peut s’y lire il ne nous reste plus, lecteur, qu’à devenir ce « quelqu’un », maintenant que le messa­ger « est parti sans rien dire, tempes bat­tantes, dans les feuillages. »

Guy GOFFETTE

Le Carnet et les Instants n° 78, 15 mai – 15 septembre 1993