Baronian, Berenboom, Fonteneau, Gunzig, Mayence et Mérague, Bruxelles, du noir dans la blanche

Capitale culturelle

BARONIAN, BERENBOOM, FONTENEAU, GUNZIG, MAYENCE, MÉRAGUE, Bruxelles, du noir dans la blanche, éd. Autrement, 2001.

ed2317cfd3La collection « Romans d’une ville » des éditions Autrement fait un dé­tour par Bruxelles après être passée, entre autres, par La Havane, Marseille, Jé­rusalem ou Tokyo. Est-ce à dire que l’édi­tion parisienne commence à prendre en considération la vie littéraire belge ou est-ce un opportunisme qui permet d’étoffer une collection sans devoir recourir à la traduc­tion ? Quoi qu’il en soit, il ne faut pas bou­der notre plaisir en découvrant Bruxelles placée sur le même pied que des villes au passé mythique ou empreintes d’un exo­tisme qui captive nos imaginaires.

Il semble en tout cas que désormais, partout en Eu­rope, la « faute à Bruxelles » commence à faire des ravages mais si la figure de style est abusive qui nomme la capitale pour dési­gner l’activité du parlement qui y siège, elle a le mérite d’intriguer et d’amener à s’inté­resser à l’identité de la ville. Est-ce qu’une consigne a été donnée de pré­senter Bruxelles par son versant noir ? Je n’en sais rien, mais on peut le supposer par le choix des auteurs peu réputés pour faire dans les envolées lyriques et le rose bonbon consensuel. Le portrait de la ville, rappelons le projet, doit s’établir au fil de nouvelles qui sont autant de plongées en eaux troubles — celles du canal ou de la drache. Emboîtons le pas aux auteurs pour arpenter Bruxelles. Jean-Baptiste Baronian nous emmène flâner aux alentours de la place des Martyrs en croi­sant deux histoires qui se déroulent à plus d’un siècle de distance. L’une évoque le sé­jour à Bruxelles de Rimbaud qui y boit de la faro et rencontre l’imprimeur qu’il cherche pour réaliser sa Saison en enfer ; l’autre évoque un flâneur contemporain, hantant les bouquinistes à la recherche de la perle rare.

Dans un cas comme dans l’autre, la réalité n’exauce pas les désirs.

Thomas Gunzig joue du second degré : ti­trant Bruxelles, capitale culturelle, il dresse le portrait du Timide, plutôt bel homme mais à l’intelligence limitée et à la misère évidente, tant financière que sexuelle. D’Uccle au Quartier Nord, le Timide traîne ses désirs sordides, ce qui permet à l’auteur de cartographier la ville en creux, calquée sur la psy­chologie de son personnage, peu reluisante.

Alain Berenboom parle d’une « époque où seul l’argent comptait » et s’installe au cœur d’une Schaerbeek multiculturelle et clandestine, avec nuits d’émeute et poussée d’extrême-droite, pour évoquer l’histoire de Dirk, musi­cien flamand et bohème, et de Véra, brillante licenciée en Russie mais, en l’occurrence, im­migrée sans papiers, qui dérivera de mariage blanc en petits boulots douteux.

Gilbert Mérague conte aussi l’histoire d’un petit immigré russe mais qui veut lui devenir un parrain du milieu et imagine, pour arriver à ses fins, de monter les caïds en place les uns contre les autres pour qu’ils s’éliminent entre eux. Ruses, courses poursuites et mitraillages dans les rues de Saint-Josse.

Bruce Mayence dresse le portrait d’un joueur invétéré, par ailleurs prof, et derrière lui celui d’un milieu interlope qui hante le centre de la ville, le tout sur fond d’une époque désabusée dans une ville où on pra­tique l’épuration ethnique par petits détails administratifs. Quand on n’y utilise pas le canal comme fin dernière.

Le canal, c’est aussi, pour Pascale Fonteneau, ce qui partage Bruxelles comme le sont les deux Corée, un canal qu’on ne franchit que « comme on traverse un océan ». L’immobilier, en effet, n’a pas le même coût des deux côtés mais, selon que l’on est d’un bord ou de l’autre, cela crée des tensions dans les couples.

Et les copines qui ont réussi habitent elles la banlieue verte du BéWé (lisez Brabant Wal­lon). N’empêche, avoir un petit jardin, cela aide quand on veut enterrer discrètement… Si, littérairement, ces nouvelles présentent des réussites diverses, elles ont néanmoins deux grands mérites : celui de coller parfai­tement à la réalité de Bruxelles, tant noc­turne que diurne, quels que soient les lieux précis ou les milieux sociaux et celui de rap­peler que cette ville a ceci de particulier qu’elle ne semble appréhendable que par le biais d’une distanciation ironique. En somme, la pratique du second degré règne comme une forme d’art de vivre.

Restons encore avec Pascale Fonteneau pour évoquer son nouveau Du début à la fin, un recueil de sept nouvelles construit du lundi au dimanche et, métaphoriquement, de la naissance à la mort en passant par l’amour ou la désillusion. Avec verve, elle se penche sur nos petits travers quotidiens et nos doutes trop humains et montre que l’univers glau­que du polar ne constitue pas un monde à part mais se retrouve en latence dans nos in­quiétudes métaphysiques ; entre la philoso­phie mélancolique et le fait divers sanglant, il n’y a pas toujours l’épaisseur d’un papier à ci­garettes…

Un livre d’autant plus réussi qu’il présente en regard les linogravures de Thierry Lenoir dont la violence expressionniste ne masque pas une empathie pour la fragilité humaine. Mieux qu’une illustration, c’est une véritable rencontre entre le texte et l’image.

Jack Keguenne

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Article paru dans Le Carnet et les Instants n°122 (2002)