Plier, déplier, n’en jamais finir de découvrir, avec Bernadette Gervais

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Bernadette Gervais

On connaît l’œuvre de Bernadette Gervais pour ses innombrables albums, bestiaires et imagiers. Des livres à contempler, déplier ou soulever ; des livres feuillus, à plumages, à bestioles, à œufs, aux innombrables pop-ups et rabats, dessinés, gravés ou travaillés au pochoir. Nous l’avons rencontrée autour d’un thé et de pâtisseries maison – son autre passion –  dans son appartement tout en lumière de Forest. 

Davantage qu’une vocation, une certitude

Bernadette Gervais est née à Bruxelles en 1959. D’aussi loin qu’elle se souvienne, elle a toujours adoré dessiner. En maternelle, déjà, Bernadette passait pour celle qui dessinait bien dans la classe. C’est vers l’âge de quinze ans qu’elle s’est fermement décidée : c’est des livres pour enfants qu’elle voulait emplir son quotidien.

À la question posée quant à l’origine, si précoce, d’une telle certitude, Bernadette réfléchit. Nous avions peu de livres à la maison, quand j’étais enfant, mais ils étaient tous de grande qualité : les Babar de Cécile et Jean de Brunhoff, les ouvrages d’Elisabeth Ivanovsky et les livres d’Alain Grée. Aujourd’hui encore je suis collectionneuse de ces « anciens » incontournables.

Dans les années quatre-vingt, nous apprend-t-elle, l’accès aux études d’illustration s’annonçait plus ardu qu’aujourd’hui. Ces dernières n’étaient, en effet, que très peu voire pas du tout tournées vers la jeunesse.

Ne se sentant pas suffisamment aguerrie pour intégrer d’emblée une formation en illustration, Bernadette commence son cursus par une année artistique « de base » à l’école « le 75 », École supérieure des arts de l’image. L’année suivante, souhaitant fuir une certaine bourgeoisie dans laquelle elle avait grandi, Bernadette Gervais opte, plutôt que la Cambre, pour l’Académie des beaux-arts de Mons. Je n’y ai malheureusement pas trouvé mon compte dans la section « illustration ». Je me suis alors retrouvée en peinture sans y avoir ma place. J’y suis restée deux ans avant de décider d’arrêter. On pourrait donc me dire autodidacte, sans réelle formation dans le domaine où j’évolue aujourd’hui.

De formation, Bernadette Gervais n’en avait pas davantage besoin pour affirmer son trait. Du temps et des moyens, par contre, il nécessitait. Quand j’ai arrêté mes études, je n’avais pas les moyens de ne faire que ce que je souhaitais. J’ai donc travaillé dix ans comme employée de bureau. Le soir, en rentrant, je travaillais sur des projets d’albums que j’allais présenter, de visu – les photocopies couleur étaient moins accessibles à l’époque – par-ci par-là. C’est chez Pastel que j’ai été la plus mal reçue : on m’a fermement conseillé d’opter pour une autre carrière. Faut-il croire que ce refus net a eu l’avantage de m’encourager : je ne me suis par la suite plus jamais arrêtée. 

Les débuts de l’édition et la rencontre avec Francesco Pittau

C’est chez De Boeck, éditeur de livres scolaires avec un petit département jeunesse, que Bernadette Gervais édite ses premiers albums, accompagnée de Francesco Pittau, avec qui elle vient de s’installer. Petit à petit, elle parvient à ne vivre que de son dessin.

Ce qui passionnait Francesco, c’était la littérature. S’il avait de l’expérience en bande dessinée, il n’en avait pas encore en littérature jeunesse.  Notre rencontre a enclenché une très longue collaboration. 

Ensemble, les complices désormais connus sous le nom de « Pittau & Gervais » produisent plus d’une centaine d’ouvrages. Nous fonctionnions à merveille en binôme. Francesco, connaissant mes limites en dessin, me fabriquait des textes sur mesure. Nous nous complétions, nous nous critiquions toujours l’un et l’autre. Grâce à ce travail commun, nous arrivions chez l’éditeur avec un travail très abouti, sur lequel nous avions le recul nécessaire.

Voyages et contraintes dans l’édition

oxiseauC’est parce que De Boek, en « petit » éditeur belge, a signé, pour leurs livres, un partenariat avec les éditions du Seuil que Bernadette Gervais et Francesco Pittau ont pu se faire facilement une place dans la maison française. Lorsque le département jeunesse des éditions du Seuil a été fondé par Jacques Binsztock et Brigitte Morel, nous avons, grâce à la collaboration passée, été immédiatement reçus. C’était, à l’époque, véritablement, la maison « dont il fallait être ». En matière de littérature de jeunesse, ils étaient particulièrement innovants. Le succès a immédiatement été au rendez-vous ; nous en étions à créer et à éditer de trois à cinq livres par an !

Au Seuil, Francesco Pittau et Bernadette Gervais éditeront quatre-vingt livres. En 2004, leur éditeur, Jacques Binsztok, quitte les éditions du Seuil pour fonder, toujours avec Brigitte Morel, les éditions du Panama, qui devront malheureusement fermer boutique cinq ans plus tard. Bernadette Gervais et Francesco Pittau continuent alors à travailler avec Brigitte Morel aux Éditions des Grandes Personnes.

Pour pouvoir publier davantage, Francesco Pittau et Bernadette Gervais travaillent également pour la collection « Giboulées » de Gallimard ainsi que pour Albin Michel Jeunesse.

Œuvrant désormais par elle-même, Bernadette Gervais continue aujourd’hui à publier chez ces trois éditeurs.

Imagiers et livres documentaires

Dans la conception de ses livres, Bernadette Gervais s’occupe de tout. Ça a été comme ça dès le début, avec Francesco : on faisait tout le découpage, du nombre de « flaps »,  de la maquette à la typographie jusqu’à la couverture. Je continue encore aujourd’hui à travailler de la même manière.

C’est désormais vers la nature que Bernadette Gervais est particulièrement tournée. Elle m’est absolument indispensable. Elle est ma façon d’aller à l’essentiel. Pouvoir regarder la nature est un moyen de se regarder soi et de se positionner par rapport aux personnes, au monde qui nous entoure. Apprendre à regarder, à voir les évolutions de la nature, les changements de saison, c’est apprendre le respect. Le respect de la nature et de l’autre, c’est précisément ce que je tente de faire partager aux enfants.

alphabeteLa nature est également présente dans les livres de Bernadette Gervais pour son potentiel poétique. C’est ce que je tente, dans mes livres dits « documentaire » pour les enfants. Cette chose, difficilement qualifiable, que l’on pourrait résumer par un « climat poétique ». C’est ce climat poétique, dit-elle, qui place ses livres et imagiers plutôt dans la section «  albums » que dans celle « documentaire ». 

Des projets, encore des projets

Bernadette Gervais continue à produire en grande quantité, et a particulièrement à cœur de tenter des expériences de natures très différentes. Dans les projets à venir, la nature, comme toujours, conservera sa place d’honneur. Un livre sur les légumes, composé à moitié de photos, à moitié de dessins. Un livre de cuisine, art qu’elle affectionne presque autant que le dessin, à destination des touts petits. Un livre sur les fleurs, composé de photographies, de dessins, et de « scans » de fleurs séchées. Un album sur « l’heure bleue », ce fameux moment entre chien et loup, plus vraiment de jour et pas encore de nuit.

Quand elle ne dessine pas, Bernadette intervient dans les classes de maternelle et adore ça pour le retour, vivant, qu’elle reçoit des enfants. 

Victoire de Changy


Article paru dans Le Carnet et les Instants n° 197 (2018)