Entre deux âges
Dominique ROLIN, Les géraniums. Nouvelles de jeunesse et quelques autres, La Différence, 1993, 499 p.
Tiens ! remarque-t-il, j’ai l’âge de Dominique Rolin quand elle écrivit « Les géraniums », la nouvelle qui ouvre et donne son titre à ce recueil d’œuvres de jeunesse : vingt-quatre ans. Par delà trois générations, trois républiques, treize jeux olympiques, une guerre, trente ouvrages du même auteur et des centaines de fleurs en pot saisonnièrement renouvelées, ces Géraniums suggèrent-ils encore la vivacité de leurs couleurs et le souvenir de leur parfum ?
Lisez plutôt : « Melle Peloux bondit dans les escaliers ; Mrs. King et sa fille la suivirent. Le tapis de l’escalier était jaune et rouge et la rampe poissait de vernis frais. Un petit délire de joie faisait marcher Melle Peloux de travers, comme une femme ivre, à l’idée d’obtenir une pensionnaire de plus. En passant devant l’œil-de-bœuf du palier, Violet vit étinceler ses yeux verts. » Comme c’est simple ! comme cela va à la va comme je vous pousse, allez. Et puis ? Bah, la même chose que dans les romans, des amours, des amours interdites, des amours inédites, par exemple un gros vieux monsieur riche avec une pauvre jeune fille pauvre (« Conte triste de l’horloge », 1954), ou bien Nick et Marie-Rose, héros shakespeariens modernes, au destin tragique de l’ennui et de la séparation vite faite (« Couleur du temps », non daté), ou encore une reine et ses deux empereurs manques (« La mort de Cléopâtre », 1981), des amours, et quelques autres sentiments féminins que, du reste, je ne comprends pas toujours. On rit beaucoup, cependant. Car, ainsi qu’en avertit l’auteur rétrospectivement, c’est dans les «naïvetés de style, les excès de fureur, de sentimentalité ou de lyrisme » que ces nouvelles plaisent, même lorsqu’elles frôlent la caricature (d’un caractère) ou le pastiche (d’une mode d’écriture). De sorte que j’ai quatre-vingts ans (non l’inverse), comme Dominique Rolin aujourd’hui, lorsque je lis ces textes, et trois générations, trois républiques, une guerre,- etc. m’apprennent tout ce dont ils ne pourraient témoigner.
Sémir Badir
Article paru dans Le Carnet et les Instants n° 77 (1993)