Sans avoir, savoir être
Françoise PIRART, La Croix de Saint-Vairant, préface d’Amin Maalouf, Ed. Bernard Gilson, 1992, 189 p.
Geofroy Sans-Avoir découvre le monde et nous en éprouvons par ses yeux la beauté, la rudesse. Françoise Pirart situe l’action de son premier roman. La Croix de Saint-Vairant au cœur du moyen âge. Châteaux et monastères, villes accueillantes aux marchands et aux bonimenteurs, forêts sauvages où menacent les loups, chapelles abandonnées, sont autant de territoires que Geofroy va explorer après avoir quitté son village de pauvre gueux, décimé par la peste et min par l’hystérie collective d’une communauté qui ne sait plus à quels diables se vouer. Un tel thème pourrait facilement conduire l’exotisme chatoyant des enluminures. La romancière réussit au contraire à restituer cet univers ses dimensions quotidiennes, où les châteaux que son jeune héros imagine grandioses se révèlent de modestes fortifications en rondins, où les couleurs de l’époque sont rendues par une langue discrètement archaïsante.
C’est que le voyage de Geofroy. bien qu’il ne soit pas dépourvu de péripéties, est d’abord une aventure intérieure. Le garçon renoncera à l’idée de vengeance qui avait motivé son départ sur les routes. Il retournera dans son village, où tout ce qui le liait à son enfance aura disparu. Mais c’est un autre soi-même qu’on trouve au bout du chemin, et cet être-là nous paraît juste et attachant.
Carmelo VIRONE
Le Carnet et les Instants n° 75, 15 novembre 1992 – 15 janvier 1993