Gaspard des montagnes en fleur
Gaspard HONS, Le froid n’atteint pas les pommiers en fleur, Rougerie, 1992
C’est la nuit. J’ai reposé sur ma table-les deux livres que je viens de lire. Le silence qui rôdait autour de la maison s’est adossé au mur du jardin. Il écoute les arbres, c’est son tour. J’ai éteint la lumière, fermé les yeux. Ce qui vient se passe de lampes. C’est un chemin qui va tout seul, sans dire où il va. Du reste, il n’importe pas de rien savoir pour le suivre. Suffit de se laisser faire, de lui ouvrir toutes les portes, il vous emmènera. Mais d’abord il s’assied à votre table, ouvre les livres, en sort un jardin, une cuisine, un « horizon plié en quatre » et qu’il déploie comme mon père son journal. C’est un vrai jardin terrestre où « la bêche hésite/(…) sonde la terre » et c’est une vraie cuisine avec des pots à épices bien rangés, des chaises qui se dérangent et le tableau d’une fenêtre où l’horizon peut tracer consciencieusement sa ligne comme un sillon. C’est par là que les anges nous rejoignent, ceux-là même qu’on dit inexistants. On a raison d’ailleurs, les anges n’existent pas. ni Dieu : ils sont. C’est une dimension étonnante que l’ « être ». une question qui démange les philosophes et que chaque chose pose à sa manière. Recevoir cette question, c’est assurer notre présence au monde : la recevoir sans l’abîmer par des réponses désordonnées, des commentaires débordant, c’est assurer sa présence en nous.
C’est ce que fait Gaspard Hons depuis quelques années. Sa fréquentation des penseurs et des philosophes, des sages et des tous, ne lui a pas tourné la tête. Au contraire. Il s’est retiré, s’est tenu à distance-dû bavardage, sachant le pouvoir des mots, méfiant envers tous les systèmes. Dans sa marge, il a gardé le contact avec la terre avec les choses. Poète avant tout, mais seul en compagnie, la plus harmonieuse possible, de quelques livres, d’un jardin et de deux ou trois saisons familières. Loin d’Icare, brûlé pourtant. Brûlant. Avec la neige sur les semis. Ni le laboureur indifférent à la catastrophe dans le tableau de Breughel. ni le berger ravi et dépassé par ses moutons. Non plus le mort dans le buisson ni le marin sur son glorieux navire. Là cependant, de plus en plus, au centre du tableau et à la périphérie comme le reflet du jour qui se déplace : un oeil qui écoute, comme disait Claudel, une oreille qui voit ; une présence enfin qui n’attend rien d’autre qu’être là. qu’être cela, un homme qui attend n’attendant rien d’autre qu’être là. qu’être cela, un homme qui attend n’attendant rien, une voix qui se tait, qui fait place à l’inattendu : « parfois une motte échappée à la bêche un mot que seul tu entends ». In mot qui contient tout : « le poulain échappé de l’écurie de mes rêves. (…) la petite maison de Robert Frost. (…) le coyotte de Grand-mère. (…) une bibliothèque prise par les glaces. (…) un tas de-cendrée blanche. (…) la clé du Logos. (…) le pommier en fleur ». tout. rien, la respiration du silence. C’est elle qui confère à l’écriture de Gaspard lions sa densité, sa profondeur et son évidence. Si le quotidien fume la pipe en se promenant sous les arbres, le poète attrape un peu de sa fumée bleue et la mêle à son encre. De là cette légèreté souriante des poèmes en prose et la gravité légère des vers libres. Inutile d’un dire davantage, écoutons : un léger soupir, l’ange prend place parmi nous, se reconnaît sur une photographie de Christine Spengler. souffle sur le désarroi du monde, tousse, .sucre son café, écoute les informations. L’ange et les jonquilles et les pensées printanières et les recommandations des jardiniers occupent le quotidien emportent notre adhésion, contournent les hypothèses métaphysiques, ne craignent pas les neiges tardives.
Dans ma maison tout ce/a me rapproche du pommier en fleur, de l’indifférence des dieux, du sourire et de la honte des choses[1]
et ceci : le silence semé
un envol de caresses, de doigts
c ‘est presque rien
mais tout à la fois
l’empreinte d’une bouche
la terre fendue
Sa présence toujours
en ce jardin
qui en sait long[2]
C’est encore la nuit. J’ai reposé sur ma table les deux mains que je viens de retrouver. Le silence qui rôdait autour de la maison m’a adossé à mon rêve. le me sens bien, je ne me retourne pas. je sais que Gaspard a déjà repris sa marche sur le chemin des montagnes en fleur.
Guy GOFFETTE
[1] Gaspard HONS, Le froid n’atteint pas les pommiers en fleur, Rougerie, Mortemart, 1992.
[2] Offert aux dieux lointains, Cahiers Froissait, Valenciennes, 1992.
Le Carnet et les Instants n° 75, 15 novembre 1992 – 15 janvier 1993