Nicolas Marchal, La tactique katangaise

Les différents usages d’un roman

Nicolas MARCHALLa tactique katangaise, La Muette, 2011

Les conquêtes véritables, le premier livre de Nicolas Marchal, couronné par le prix Première, raconte la difficulté d’un jeune auteur à écrire son roman. Renversement de point de vue dans ce cas : un livre intitulé La tactique katangaise existe déjà, un peu trop même, et c’est son existence qui conditionne l’attitude des différents protagonistes. Quatre narrateurs se succèdent : Stan un adolescent, sa grand-mère, son prof d’histoire Floyon et Joseph, un vieil homme, l’auteur que l’on croyait mort de La tactique katangaise. Celui-ci veut faire disparaître toute trace de ce livre car sa rédaction a conduit à la mort de Nicole, la femme de sa vie. Mais le roman intéresse les trois autres narrateurs. Pour embellir le souvenir de son mari, la grand-mère invente à Stan une histoire d’espionnage au Congo, largement inspirée par le roman. Dans ce récit des faits d’un grand-père héroïque Stan trouve de quoi essayer d’éblouir la jeune Cynthia dont il est amoureux. Et Floyon, historien paranoïaque, adepte farouche de la théorie du complot, découvre dans les propos de Stan la confirmation de ses hypothèses délirantes d’un message crypté dans le roman. C’est l’occasion pour l’auteur de faire montre de sa verve, de lancer ses personnages dans des divagations verbales d’une franche drôlerie, avec quelques formules superbes.

Les personnages se protègent par là de la réalité. L’effet burlesque devient vite grinçant
quand le lecteur perçoit le contraste entre le tragique que l’on pressent et le discours délirant qui tente vainement de le masquer : la médiocrité de la vie conjugale de la grandmère ; le râteau amoureux que se prend Stan qui ne voit pas combien et comment Cynthia l’exploite ; les problèmes de Floyon avec les femmes et surtout avec sa mère. Joseph, lui, est d’une lucidité cruelle, sur la vieillesse, sur ce qu’a été sa vie, et cela se traduit par une méchanceté de propos finalement très roborative (il y a quelques expressions inspirantes). Cet autodénigrement le conduit finalement à
pouvoir admettre la réalité et à se réconcilier avec elle.

Tout compte fait, on ne sait presque rien de La tactique katangaise. Qui en est vraiment
l’auteur ? De même que reste énigmatique la nature des liens qui se tissent entre les personnages autour de ce roman. Car les similitudes sont nombreuses entre les récits des quatre narrateurs ; à plus d’une reprise, le lecteur est amené à s’interroger en découvrant un élément qui change de récit. Le dernier chapitre complique d’ailleurs la situation et relance l’ambiguïté. Les apparences vacillent.

Le roman est aussi une joyeuse foire aux stéréotypes, ceux de la drague adolescente
pour Stan. Pour Floyon, sa théorie de la « toile d’araignée » (p. 187), méthodologie de recherche historique consistant à établir les liens les plus inattendus (et donc farfelus) pour débusquer les éléments du grand complot.

Mais l’humour de Nicolas Marchal ne doit pas tromper ; il ne sert qu’à voiler à peine la misère morale de ses personnages.

Joseph Duhamel


Article paru dans Le Carnet et les Instants n° 167 (2011)