Diane Meur, Le prisonnier de Sainte-Pélagie

Clovis à Paris

Diane MEURLe prisonnier de Sainte Pélagie, Labor, coll. « Espace Nord – Zone J », 2003

Paru l’an dernier, La vie de Mardochée de Lôwenfels écrite par lui-même a impres­sionné la critique. Diane Meur a d’ailleurs obtenu le Prix de la Première Œuvre attribué par la Communauté française. L’ar­gument du livre — l’autobiographie d’un homme à l’étrange destin dans le Saint-Em­pire germanique du XIVe siècle —, sa construction et son style ont séduit les lecteurs les plus exigeants. Avec Le Prisonnier de Sainte-Pélagie, l’auteur révèle une autre facette de son talent : le roman pour la jeunesse.

Vers 1850, dans le Paris d’avant Haussmann, aux alentours de la rue Mouffetard, la Bièvre coule à ciel ouvert, empestant le voisinage. Une bande de gamins de rue, sans parents ni famille, en a fait son quartier re­fuge : Clovis, le chef, Belette, Ficelle, Fleur, la seule fille, le petit Napo (possesseur du seul bicorne authentique de l’Empereur !) et quelques autres y survivent d’expédients. Ils rencontrent Martin, un jeune Lyonnais à la recherche de son père en délicatesse avec la police, venu se réfugier à Paris. Après mise à l’épreuve et services échangés, Martin est in­tégré à la bande, dont le but est désormais de libérer le père, emprisonné à Sainte-Péla­gie, à propos duquel circulent des nouvelles inquiétantes. À partir de là, péripéties et rebondissements s’enchaînent jusqu’à la fin d’un récit haletant.

Diane Meur connaît ses classiques. Elle maîtrise parfaitement le récit d’aventures. Le roman est bien construit : un épisode n’est pas encore clos que des éléments mys­térieux laissent présager de multiples pro­longements possibles. Les coups de théâtre et les rebondissements obligent à reconsidé­rer l’histoire, à relativiser ce que l’on avait cru vrai. Les chutes des chapitres contribuent aussi efficacement à la relance de l’in­trigue et du suspens ; et leurs titres mettent déjà l’imagination en ébullition — la table des matières est presque un roman en soi. Du roman d’aventures, le livre reprend aussi la juxtaposition d’une volonté de réalisme, sensible dans la documentation historique et géographique rigoureuse, et d’une imagina­tion narrative débridée, perceptible dans l’as­pect parfois invraisemblable de certains épi­sodes : référence à des poisons mystérieux aux effets déroutants, qui auraient fait des ravages jusque dans la bonne société parisienne ; sé­quence effrayante d’un homme que l’on a cru mort suite à l’absorption d’un de ces poisons et qui s’extrait seul de la fosse commune où on l’avait inhumé. Héritage encore du roman d’aventures pour la jeunesse, ce trait d’écriture qui consiste pour le narrateur omniscient à in­tervenir très directement dans le récit par des commentaires ou appréciations, ou par Fannonce d’événements futurs : « Alors, il grimpa lentement sur le toit et se laissa tomber à l’in­térieur de la Ménagerie, où nous le retrouve­rons. » « Quelle succession d’événements avait amené cette double exclamation, à la fois triomphale et terrifiée ? Fleur et ses deux com­plices auraient seuls pu le dire. » Tout cela contribue à donner au récit une cohérence qui équilibre la prolifération de la trame narrative. Le Prisonnier de Sainte-Pélagie n’est cepen­dant pas qu’un roman à péripéties habile­ment mené. D’autres qualités s’y laissent découvrir. Ainsi, les personnages ont une épaisseur ; ils sont individualisés, caractéri­sés en quelques traits et rendus attachants, même si l’évocation psychologique n’est pas la préoccupation première. Des questions sociales, et morales, sont esquissées à demi-mot. La description du vieux quartier de Paris et de son ambiance donne au livre une atmosphère toute particulière.

La séduction qu’exerce ce roman repose également, comme pour La vie de Mardo­chée, sur la superbe maîtrise du style : la langue de la narration, d’une grande clarté et recherchée, contraste avec la langue par­lée des protagonistes émaillée de quelques traits du parler populaire du milieu du XIXe, toujours compréhensible. De façon générale, la démarche de Diane Meur pourrait être résumée par l’expression de « faux classique ». Du classique, elle a la rigueur, la clarté ; de la littérature d’au­jourd’hui, elle a le sens du non-dit et de la suggestion, mais aussi de l’inventivité narra­tive. Le lecteur adolescent découvrira un roman riche, agréable à lire. Le lecteur plus âgé sera séduit par un ton original, résultant de ce qu’on pourrait qualifier de distancia­tion subtile et amusée.

Joseph Duhamel


Article paru dans Le Carnet et les Instants n° 129 (2003)