Images de la rue
Michel FRANCEUS, Un homme à la rue, Miroirs éditions, 1992, 144 p.
Notre culture de l’image diluerait-elle notre identité dans le voyeurisme et l’exhibitionnisme ? La question est rabâchée sur tous les tons par les médias qui passent du « reality show » à l’autocritique avec une désinvolture qui laisse pantois. Michel Franceus, professeur et journaliste, aborde ce thème par le biais de la fiction. De son héros, Georges Fumière, il nous dit peu de choses. Cet homme que la vie n’a pas épargné se retrouve un jour à la rue, comme on dit « à la mer ». Réfugié dans un quartier misérable du vieux Lille, où il côtoie une faune disparate de laissés pour compte, il s’abandonne au cours du temps avec détachement, sans plainte ni espoir. Lorsque des réalisateurs de télévision s’avisent de lui consacrer un reportage, pressentant dans cette figure de l’infortune assumée dignement un de ces personnages « comme les gens les aiment », Georges répugne à se livrer. Ni symbole, ni exception, il n’est porteur que de lui-même. C’est là le peu qui lui reste et qu’il tient à défendre. « Je ne donne pas d’image. On me la prend », dit-il.
Comme soucieux lui-même de ne pas imposer une vision trop prégnante, l’auteur se contente d’esquisser des silhouettes sur un fond de grisaille, ponctué de dialogues hauts en couleurs. Et le trait sait se faire suffisamment souple pour que, dans le profil ainsi ébauché, les personnages accèdent à une densité où .prennent vie des nuances. Un homme à la rue est donc une réussite dans la mesure où ce qui aurait pu n’être qu’un cliché greffé sur un thème à la mode génère en fait un roman qui échappe aux trop grandes facilités du réalisme. Non sans hésitation pourtant. Ainsi, par exemple, l’auteur n’a-t-il pas toujours su éviter aux dialogues une gouaille quelque peu forcée. Timidité ? Besoin de se raccrocher aux effets ? On aimerait le voir aux prises avec une fiction aux dimensions et au propos moins étriqués.
Dominique CRAHAY
Le Carnet et les Instants n° 76, 15 janvier – 15 mars 1993