Roman-Rimbaud
Michelle FOUREZ, Les bons soirs de juin, Alinéa, 1992, 120 p.
Dans le climat de morosité actuelle. il est revigorant de constater que certains de nos enseignants, en marge de leurs devoirs pédagogiques, conservent l’enthousiasme et l’élan créateur. Michelle Fourez en est un exemple. Née en 1951 à Ath. ses vingt ans d’enseignement n’ont nullement entamé sa qualité d’émotion et son goût pour les poètes que l’on découvre à l’adolescence. Car. ce qui frappe avant tout dans Les bons soirs de juin, c’est que ce court roman est traversé de part en part d’un filigrane rimbaldien qui lui imprime une intime résonance poétique. Inutile d’en énumérer ici les indices, car il ne s’agit pas de clés mais d’un jeu de miroirs où les êtres et les situations reflètent simultanément une facette du personnage de Rimbaud, un poème ou une atmosphère que le seul titre évoque déjà. En ces « bons soirs de juin »,dans un restaurant de la côte portugaise, un jeune Belge, Alexis, fait la connaissance de Joana, une Catalane. Alexis parle. Il raconte sa mère, Françoise, morte il y a cinq ans. Son père, dont elle était la maîtresse, ne l’a jamais reconnu pour fils. Double blessure qu’Alexis ressent comme une perte d’existence. Joana l’écoute. Un lien se noue. Ils rentrent ensemble en Belgique où la jeune fille a décroché un poste de lectrice d’espagnol. Voici l’automne et puis l’hiver et son infinie mélancolie clans la maison d’Alexis habitée par la mémoire de sa mère, pleine de l’absence de son père. Tour à tour fragile, violent, inaccessible. Alexis ne peut trouver dans l’amour de Joana de quoi combler sa détresse. Il s’enfuira au Mexique sur les traces de Françoise, et Joana n’attendra son retour que pour lui dire adieu.
Sur ce thème, éminemment oedipien, Michelle Fourez distille une écriture d’une sensibilité très retenue. La sobriété de l’évocation, le dépouillement de la phrase confèrent à ce récit en demi-teintes une force suggestive qui, pour n’être jamais appuyée, n’en est que plus poignante. Souhaitons à l’auteur d’autres saisons, d’une aussi belle eau.
Dominique CRAHAY
Le Carnet et les Instants n° 74, 15 septembre – 15 novembre 1992