Yves Namur, Dieu ou quelque chose comme ça

Comment « Dieu » vient au poète

Yves NAMUR, Dieu ou quelque chose comme ça Petit traité d’un agnostique ou à tout le moins de quelqu’un qui se croyait ainsi bâti, Lettres Vives, 2008

namur dieu ou quelque chose comme çaIl est des livres qui dépassent la littérature. On ne peut les approcher qu’avec amour comme l’écrit Rilke dans ses « Lettres à un jeune poète ».  Ainsi en va-t-il du livre d’Yves Namur : Dieu ou quelque chose comme ça Petit traité d’un agnostique ou à tout le moins de quelqu’un qui se croyait ainsi bâti .

Même s’il ne s’agit pas de poèmes, le texte est celui d’un poète, la question de la poésie, au sens existentiel (il faudrait dire « spirituel »), se trouve posée : « Il faut écrire sans vraiment savoir où l’on va » (…) « Et pour les affaires de Dieu, c’est pareil, il suffit de marcher sans y prêter la moindre attention ».

Or c’est un regard intense qui cherche à lire les signes ou les traces d’une réalité brûlante se dévoilant à même son occultation dans les choses, les rencontres, la femme aimée, les événements du quotidien. Si le doute ne quitte pas l’auteur, Namur, le poète, ravive chez son lecteur la capacité d’étonnement, une lucidité vierge de tout présupposé, cette faculté de retrouver nouvelles les vieilles apparences et de se poser à nouveau la question du « pourquoi ? »…

Il ne faut pas ici parler d’une quête de Dieu : « quelque chose » émerge à la vue du poète, progressivement et pas à pas ; ou, au contraire, l’auteur confie : « (…) Dieu me saisit. Comme un traître, et c’est comme un froid glacial ou une épée qui me traverse alors de part en part ».

Il y a dans ce livre une infinie tendresse qui déborde les frontières de l’humain, qui élargit notre humanité. Et le sens que Namur voue à ce mot « amour » est proche de la conception mystique de Simone Weil : « Oui, je crois bien qu’aimer c’est regarder intensément les choses les plus ordinaires ».

Le texte ne capture jamais ce qu’il vise ; ce serait l’anéantir. Le poète en effet se demande : « Et si la preuve de Dieu c’était aussi l’épave de Dieu ? ». Le livre en capte plutôt l’échappée, il en saisit la trace, « jusqu’au bord inespéré du visible».

Que le lecteur soit « croyant », « athée » ou « agnostique » (je pense qu’il convient d’écrire ces mots avec des guillemets), le livre l’accueille avec un grand respect de son altérité. L’humilité du poète rend possible ce compagnonnage, cette fraternité profondément humaine.

Le poète se risque, s’engage radicalement. Non pas au sens de l’affirmation d’une quelconque vérité valable pour l’autre (surtout pas !), mais au sens où il se livre démuni à son lecteur, n’hésitant pas à avouer : « qu’à ma façon, avec ma démarche hésitante, avec mes larmes et mes pensées parfois toutes noires, peut-être que moi aussi j’arpentais cette réalité-là ».

« Peut-être », cet adverbe, souvent revient. En fait, il nous fait signe ; il signifie le don que nous offre ce livre : celui d’un pouvoir-être.

Philippe Lekeuche


Article paru dans Le Carnet et les Instants n°153 (2008)