La quête de l’étincelle permanente
Yves NAMUR, Figures du très obscur, Phi, coll. « Graphiti », 2000
Ces traces
Qui traversent de part en part
L’âge des pierres,
Ces traces comme autant de points, Comme autant d’oiseaux
Et de poèmes étoilés,
Ces traces me disent,
Ô combien nous est proche encore,
Cette part tant attendue de l’intouchable
Par le poème, Yves Namur espère Que le voile s’écarte quelque peu, / Laissant ainsi entrevoir / Du grand feu, / Ce qu’aucun n’osa jamais regarder. Il cherche à atteindre Tout cela qui reste encore innommé / Dans la parole. Les manifestations de cette Pointe extrême de l’être ne peuvent s’appréhender qu’en des occurrences particulièrement impondérables : la Rosée du silence, le Cercle d’or / Tombé de notre bouche, le regard de l’effacée. Conscient de l’impossibilité définitive à dire l’indicible, le poète intègre cette impossibilité dans le mouvement même de son écriture, elle devient le moteur de cette narration du peu. Les simples saisissent le mystère. Ils perçoivent L’infinie beauté de la rose et celle de l’ignorance. Les autres devront se Garder de regarder dans le visible, pour franchir et le seuil / Et le temps du précaire. Cette décantation du réel est paradoxale, c’est dans l’obscurité qu’il faut chercher l’éclat, comme nous y invitent les illustrations de Gabriel Belgeonne qui, dans un mouvement tourmenté et quasi opaque, isolent des fragments de lumière. Pour Marcher à grands pas vers le doute / Et l’imprononçable question, il faut emprunter le chemin du feu et de la blancheur. Cette double thématique structure la recherche qui permettra d’habiter cette infinie brûlure de l’âme. Le terme est bien sûr toujours différé. La trace se guette plus haut que la lumière / et plus haut encore que l’absence de lumière. Le poème n’est jamais cerné, il est insaisissable, on le regrette ou on l’espère : Ce chant qui s’en va au loin / Et toujours est à venir.
Cet appel à la transcendance n’est ni religieux (Pourquoi s’obstiner à appeler encore / Celui qui ne peut l’être / Et / Ne pourra jamais venir ?) ni désincarné. Il est ancré dans la mémoire ancestrale de la pierre qui apporte un surcroît de densité tangible à cet univers évanescent. Le désir est omniprésent et très concret. Il s’incarne dans la fascination de Celle qui sait et dont le poète guette la voix.
Le volume se clôt sur un fragment d’Héraclite qui fonde tout à la fois le style, la démarche spirituelle et l’aspiration au bonheur d’Yves Namur : Qui n’espère pas n’atteindra pas l’inespéré, qui est au-delà de toute recherche et à l’écart de toutes les routes.
Thierry Leroy
Article paru dans Le Carnet et les Instants n°115 (2000)