Amélie Nothomb, Attentat

Il n’y aurait pas d’amour impossible…

Amélie NOTHOMB, Attentat, Albin Michel, 1997

nothomb attentatAvec Péplum, sorti à l’automne der­nier, Amélie Nothomb s’était un peu fourvoyée en s’embarquant dans des démonstrations emberlificotées et vaines pour nous prouver que Pompéi avait été détruite dans le prochain millénaire. Même si le procédé devait servir à dresser un portrait du monde d’aujourd’hui, il fi­nissait par se révéler encombrant. Le jeu lit­téraire frôlait la gaminerie… A bien des égards, Amélie Nothomb a ou­blié (refusé ?) de grandir. Sa littérature porte les stigmates de ce blocage, comme une marque de fabrique : Le sabotage amou­reux, qui relate des amours de petites filles et des guerres enfantines en reste la preuve la plus émouvante. Un des épisodes de ce livre (celui où l’héroïne est persuadée — et nous persuade — que son vélo est un che­val) symbolise à lui tout seul la démarche romanesque de l’auteure : un combat — qu’elle gagne souvent et perd parfois — pour nous faire croire à des histoires extraordinaires, pour retourner des véri­tés qui nous semblaient vieilles comme le mon­de.

Attentat cherche à montrer qu’« il n’y a pas d’amour impossible », même entre l’homme le plus hideux du monde et celle qu’il considère comme la plus belle… Comme dans Hygiène de l’assassin et Les Catilinaires, l’écrivaine imagine un personnage repoussant. Narrateur du roman, il raconte l’histoire qui l’a conduit en prison. Tel le marquis de Sade, il écrit enfermé. Sauf qu’il n’y est pas ques­tion de sexe mais d’amour : l’amour pur est toujours chaste chez Amélie Nothomb. Elle prend un plaisir fou, enfantin et communicatif à croquer Epiphane Otos, ce monstre né le jour de la fête des Rois mages (d’où son prénom). « Je suis l’être le plus laid que j’ai rencontré… Mon visage ressemble à une oreille. Il est concave avec d’absurdes boursouflures de cartilages… A la place des yeux, je dispose de deux boutonnières flasques… Ma tignasse évoque ces carpettes en acrylique qui ont l’air sale même quand on vient de les acheter… Ma maigreur est vilaine… A l’exemple des chiens shapeïs, j’ai trop de peau… Mon visage fut épargné par l’acné : cette dernière, telle une pluie de sauterelles, se concentra sur le haut de mon dos… ». Inutile de préciser que la roman­cière va s’amuser comme une petite folle avec les différentes caractéristiques de sa créature. Mais aussi écrire quelques phrases d’une douceur rare chez elle. Je cite encore : « La plupart des hommes décharnés res­semble à des vélos, ce qui est joli. », « Elle pleurait toujours. Ses larmes étaient très silencieuses : il fallait être un homme-oreille pour les entendre au bout du fil. Ainsi san­glote la neige quand elle fond. » Bien sûr, Epiphane est surnommé Quasimodo et tombe amoureux d’une Esméralda prénom­mée Ethel. Amour que la romancière conçoit comme possible. Mais à quel prix ! Combien de péripéties, de retournements de situations, de lieux communs et de mythes, de citations et d’emprunts (avoués) à la littérature (entre autres, une déclaration d’amour du même type que celle de Cyrano à Roxanne) seront nécessaires ! L’histoire de cet amour permet à Amélie Nothomb d’écrire certains passages d’une manière presque dépouillée, au plus près de son intimité. Ce qui ne l’empêche pas de se lancer encore dans des dialogues guerriers, des situations para­doxales (Epiphane de­vient l’attraction nu­méro un des défilés de couturiers et juré d’un concours de beauté), des coups de griffe à l’intel­ligentsia et au monde ar­tistique. Ce qui devrait ravir ses lecteurs fidèles et continuer d’irriter ses adversaires…

Michel Zumkir


Article paru dans Le Carnet et les Instants n°99 (1997)