Hugo Claus, le miracle de l’écriture
Jean-Luc OUTERS, Hugo CLAUS, De courte mémoire – Waar het geheugen ophoudt, trad. Hilde Keteleer, La Pierre d’Alun, 2011
Ce cinquante-huitième titre de la collection de la Pierre d’Alun, avec des dessins à l’encre aux fins traits qu’Hugo Claus esquissa à la fin de sa vie, est un émouvant hommage au grand écrivain flamand Hugo Claus rendu par Jean-Luc Outers, qui dirigea durant de nombreuses années le service de la Promotion des lettres de la Communauté française. Tout un symbole. Comme le fait qu’il sorte en édition bilingue.
De courte mémoire est aussi et surtout l’hommage d’un écrivain à un autre écrivain et cela transparaît dans l’écriture, simple, mélodieuse, tout en retenue, qui ouvre des espaces à des silences bienvenus. « Écrivain, il n’avait cessé, dès le réveil, de chercher les mots et de les agencer mais cette quête s’apparentait à une cueillette de fleurs sauvages où le surgissement hasardeux d’un mot, d’une phrase était une source de joie qui le reliait au monde. Cette peur de rester bloqué, sans inspiration devant sa page, bien sûr, il l’avait éprouvée lui aussi, mais jusque-là il s’était laissé porter par la langue, surpris parfois de voir les mots s’aligner sous sa plume les uns derrière les autres dans une profusion de sens. Chaque jour, il assistait ainsi hébété à ce qu’il appelait le miracle de l’écriture. »
Il n’y a pas d’écriture sans un travail sur la mémoire. On ne s’étonnera pas de la découvrir au cœur de ce texte, d’autant que la mort d’Hugo Claus, qui a demandé et obtenu l’euthanasie, voyait celle-ci le déserter, au point de devoir prendre « des chemins de traverse dans les maquis de la mémoire ». Évoquant la cérémonie d’adieu organisée à l’opéra d’Anvers, un beau matin, selon un rituel orchestré par le principal concerné, Jean-Luc Outers revisite avec finesse plusieurs des passions et interrogations parfois courroucées qui ont tissé l’existence de Claus : sa naissance, ses liens à la mère, le pensionnat avec son « odeur de nourriture, d’amidon et de vêtements mouillés », l’amour, excessif par définition, les femmes, la politique, la religion, le mensonge, le corps, l’art en général et la peinture en particulier puisque « dessiner, peindre, il allait le faire jusqu’au dernier jour », la politique et le politique. On sourit de l’évocation du Premier ministre et du cardinal lors de ce rassemblement à la mémoire de celui qui s’en voyait dépossédé. Grâce à Jean-Luc Outers, le lecteur d’Hugo Claus retrouve plusieurs parcelles de « cette mémoire aux ramifications infinies ». Une première version de ce texte a été lue le 5 juin 2008 à l’invitation de de Buren pour Radioboeken, superbe projet qui propose des enregistrements de textes inédits d’auteurs flamands et francophones, comme Caroline Lamarche, Eugène Savitzkaya, Jacques De Decker, Rascal, Thomas Gunzig, etc. On peut donc réécouter ou enregistrer cette version de De courte mémoire, lue par Jean-Luc Outers, sur www.deburen.eu.
Michel Torrekens
Article paru dans Le Carnet et les Instants n°172 (2012)