Le livre-vie de Pascal de Duve
Pascal de DUVE, Cargo Vie, Jean-Claude Lattès, 1992
Débarrassons-nous tout de suite de ce qui nous gêne. De ce qui nous énerve : les jeux de mots un peu ringards, un peu clinquants. Yves Navarre, qu’il cite par ailleurs, a beaucoup donné dans ce genre-là et maintenant c’est assez. Finis pour nous « la Mort, l’amer, la mer, l’amour » ou autres rapprochements faciles. Bien sûr, en-dessous, il y a les blessures mais on veut aussi aimer la parure. Quelques clichés éculés nous crispent aussi : le clown triste, Sartre écrivain médiocre… Mais certains sont réactivés et là nous sommes à nouveau apaisés (bien dans le texte) : « Je ne sais de combien de poupées russes je suis fait. Je sais seulement que la plus grande est vermoulue, et que la plus petite est fendue. »
Malgré ces petites réserves, le livre de Pascal de Duve nous paraît essentiel. Parce que lui aussi est devenu « le porte-plume de mes frères sidérés qui se calfeutrent dans le mutisme. Je veux être un ambassadeur de l’espoir au pays du désespoir. » Lui aussi ? Ne faisons pas la liste. Voyons juste l’unique. Cet auteur-ci. Ce livre-ci, carnet de bord de l’écrivain lors d’une croisière sur un bananier. Parcours resserré dans le temps : vingt-six jours. Parcours intense d’un jeune homme de vingt-huit ans malade du sida. Parcours d’un amant éconduit par l’autre tant aimé. Avec la certitude d’une mort pas tellement lointaine. Avec la certitude que l’autre ne reviendra pas (et surtout qu’il reste où il est, cet être au cœur « insalubre »). Alors plus rien n’est sûr. L’écriture se fragmente. Le blanc s’installe. Les contradictions ne font plus peur. De Duve est comme ça. Il ne cherche pas à construire un livre de raison. Il écrit avec ce qu’il vit. Sans se relire. Avec sa nouvelle passion, sa nouvelle angoisse : le sida. « Sida mon calvaire, sida mon amour ». Qui lui fait découvrir le monde. Souvent pour la première fois. Souvent pour la dernière. « Par exemple, je découvre avec ravissement petites et grandes choses de la Nature, auxquelles je ne m’étais jamais intéressé ou attardé avant mon sida. Je vous le révèle : cette année le printemps enfleurit les arbres de couleurs magnifiques. Je crois bien que c’est la première fois. Oui ce printemps-là est le premier. J’aime mon sida. » « Par exemple, c’est la première et la dernière fois que je traverse l’océan Atlantique en cargo ; et ainsi de suite pour nombre de choses, insignifiantes ou importantes. Aussi ma maxime sera : Fais et vis toute chose comme si c’était la première et la dernière fois. »
Et si nous l’adoptions aussi. Si nous nous servions de ce livre, nous les encore-en-bonne-santé, pour redécouvrir le monde. Pour réapprendre à vivre avec l’essentiel. A nous émerveiller et à souffrir vraiment. Alors le livre-vie de Pascal de Duve n’aura pas été écrit pour rien. Il nous aura mis dans la voie de la sagesse pour que nos vies « ne s’étirent pas mollement jusqu’à une vieillesse indifférente et blasée. » Même si le temps qui nous reste est un peu plus long.
Michel Zumkir
Article paru dans Le Carnet et les Instants n° 77 (1993)