Quorum fiction : atteint ou pas ?
Patrick DUPUIS, Le conseiller, Quorum, 1993, 136 p.
Pierre GUYAUT-GENON, Rouge Novembre, Quorum, 1993, 200 p.
Avec deux romans publiés en 1993, les éditions Quorum ont ajouté à leur vocation informative en matière de droit, d’économie et de gestion, des textes de fiction où le sens du témoignage — est-ce un hasard ? — semble s’inscrire en filigrane.
Le conseiller de Patrick Dupuis et Ronge Novembre (« Voici 10 ans, dans une ville du Brabant ») de Pierre Guyaut-Genon, qui inaugure une série « police fiction », on ceci en commun de s’ancrer sur le réel, faits divers et d’hier, et de servir d’exutoire — pour leur auteur, en tout cas — à des expériences où le sordide le dispute à l’absurde. L’univers factice et le « complexe de supériorité du petit intellectuel » du conseiller communal Eric Storms, et l’humour incertain du commissaire Philippe Goethals (« Ils sont au journalisme ce que l’enzyme est à la fosse sceptique… !) tentent de conjurer — sans les éliminer ni les faire oublier, loin de là, dit la litote — l’ennui, la routine et la combine, d’un côté, la misanthropie, l’horreur et l’ignominie, de l’autre. Limitons à ce qui précède la liste des points communs. Le conseiller connue cahin-caha lucidité et militantisme. Le bon sens qui préside à quelques réflexions sur la vie communale et, plus généralement, sur la vie des « comitards » (« les boudins-compote du samedi soir, les permanences sociales…») tourne souvent au très-élémentaire-bon-sens et s’abîme dans les poncifs (« L’impression de subir les événements sans pouvoir les contrôler »), le vieux bouillon (…« si tous les dégoûtés partaient »…) voire la naïveté (« Non, on ne refaisait pas sa vie, on la continuait, tout simplement »). L’intrigue brille par sa ténuité et rachète difficilement le ton de morosité (délibéré ?) de ce petit manuel pour jeune politicien idéaliste et néanmoins débutant, où les vieux militants vaccinés découvriront peut-être quelque hommage.
Rouge Novembre remplit à merveille le difficile contrat d’un polar convaincant sur les tueries du Brabant. Haletant, aussi, et jamais ennuyeux. Pierre Guyaut-Genon contourne tous les pièges que pareil sujet recèle inévitablement. L’aveuglement de son procureur marron, la misanthropie de son truand, le nez creux de son commissaire et la logique dégoûtée de son journaliste ne tombent jamais à plat. Il navigue adroitement parmi les surenchères actuelles du roman noir, flots d’hémoglobine et salves d’argot. Il sacrifie seulement à la brutalité gratuite que lui impose son propos initial et qu’il assaisonne à l’occasion d’une pointe d’humour grinçant (« le synchronisme entre le bruit de la première détonation et l’éclatement de la tête de la serveuse fut parfait »). La dérision n’est cependant pas l’antidote attitré de l’horreur et la leçon d’« homo homini lupus » est adroitement servie par la fiction et les détails piquants qu’il saupoudre d’autant mieux qu’il distribue alternativement le rôle de protagoniste. On se réjouit d’apprendre que la série « police fiction » attend André-Paul Duchâteau au pied du mur avec un défi de quatre crimes ou meurtres impossibles… D’ici là, le correcteur de la maison aura peut-être eu le temps de revoir son orthographe d’usage…
Danny HESSE
Le Carnet et les Instants n° 82, 15 mars – 15 mai 1994