Quand création rime avec exclusion
Rue des Usines , n° 19-20-21, Printemps 1993 : « Exclusion sociale et création artistique ». Fondation Jacques Gueux, 51, avenue A. Demeur, 1060 Bruxelles.
La revue Rues des Usines émane de la Fondation Jacques Gueux « qui s’est donné comme objectif de promouvoir, éditer et diffuser des oeuvres issues du patrimoine culturel des classes populaires ». Depuis le premier numéro en 1978, au fil de la réflexion et de l’évolution sociale, le concept de « culture populaire » s’est modifié et considérablement élargi : plutôt que de s’appliquer au seul prolétariat, il englobe aujourd’hui les différentes minorités en marge de la culture dominante (qui n’est plus seulement celle des couches supérieures de la société mais touche un ensemble plus vaste). Si la question des relations entre exclusion sociale et création artistique semble primordiale à une époque où la société tend à dresser des frontières entre ceux qui sont « dedans » et ceux qui sont « dehors », il s’avère qu’à la poser, on soulève plus d’interrogations que l’on n’apporte de réponses. Car si l’art peut être considéré, a priori, comme un facteur positif de socialisation, encore faudrait-il s’entendre sur les mots. S’agit-il de création esthétique, de culture au sens large ou même d’expression individuelle (envisagée, à la limite, comme une thérapie) ? Et dans quel but ? Développement personnel ? Insertion ? Intégration ? Mais quels en sont les enjeux réels ? L’approche artistique n’est-elle pas souvent l’alibi d’un discours social qui ne trouve plus de relais politique ? Rue des Usines a le mérite d’ouvrir toutes ces perspectives à la réflexion du lecteur. A travers des analyses théoriques (dont celle, remarquable, de Bruno Vinikas, qui termine sa charge de Commissaire adjoint au Commissariat royal à la Politique des Immigrés), un aperçu des pratiques théâtrales (on appréciera le vigoureux entretien avec Armand Gatti, les expériences d’un Jean Louvet et d’un Richard Kalisz), ou de la vie associative (l’exemple du groupe « Mosaïc » à Koekelberg), tous ces témoignages balisent des pistes — empruntées avec plus ou moins de bonheur — qui sont autant d’invites à porter un regard critique sur notre conception de l’urgence individuelle et collective de la création artistique.
Dominique CRAHAY
Le Carnet et les Instants n° 78, 15 mai – 15 septembre 1993