Jacques VANDENSCHRICK, En qui n’oublie

Oublier demain

Jacques VANDENSCHRICK, En qui n’oublie, Cheyne, 2013

« Qui donc ainsi s’efface et, pour nous, ne s’effacera pas ? Ceux qu’on ne voit ni n’entend plus ? Ceux qui s’en vont dans l’assombri, épaules soudées aux ciels d’ardoise ? » En qui n’oublie est un texte qui interroge ainsi en profondeur et sans relâche à la fois son lecteur et son auteur. Il pose des questions urgentes au « laveur de mémoire » comme au destin échu aux souvenirs … Le poète Vandenschrick poursuit de livre en livre l’exploration d’un univers fantastique et personnel, porté par une écriture altière et exigeante. Dans la trame dense de courtes proses élégiaques se déploie sobrement une poésie violente. Le souffle qui jalonne ces rêveries poétiques semble caractéristique de l’œuvre de Vandenschrick. Et ce n’est pas sans risque que l’on se mêlera à l’anonymat des « on » apostrophés par ce recueil puissant.

Vandenschrick y explore des bourgs terreux, en recense les soirs venteux et leurs oiseaux, y croise le chant des passeurs dans le brouillard, de taiseux amants de février, la fille du lac aux deux lumières… Ces hameaux sont-ils imaginaires ou en voie de disparition ? L’un et l’autre ? L’entreprise semble bien être de les sauver pour nous de l’oubli et du sommeil qui guettent. La poésie est ici l’outil et le questionnement la méthode. Parmi ces décors intemporels, no man’s land hantés de présences, de chiens et d’enfants fuyards, le poète fait vibrer sous sa plume le miroir de campagnes hallucinées dans lesquels Emile Verhaeren pourrait se reconnaître. Les images sont sonores et l’énigme règne. La mémoire prend et donne des coups à des images qui se dérobent, à des chagrins irréparables. Voici un livre grave, qui peut inciter à la réflexion sur la complexité contemporaine de notre rapport au temps et aux traditions « alors qu’il faudrait apprendre à oublier demain et vivre en habitant l’aride ».

Martin Collin


Article paru dans Le Carnet et les Instants n° 178 (2013)