Antoine WAUTERS, Césarine de nuit

La poésie pour écouter et dire le monde

Antoine WAUTERSCésarine de nuit, Cheyne, 2012

Voici qu’un poète d’aujourd’hui engage l’écriture dans l’action, mais à sa manière. Antoine Wauters renoue avec la poésie narrative et restaure un discours lyrique de violence. Ce n’est pas par hasard que la collection « Grands fonds », de Cheyne, l’accueille, «en marge de tout genre littéraire codifié », lui qui place son texte d’office sous le signe de l’attaque, comme en témoignent les citations qu’il a choisi de poser en exergue, au seuil de son livre. Quand on questionne A. Wauters à propos de sa dernière publication, Césarine de nuit, un bel objet noir et amarante, il demande d’abord à en lire le premier chapitre. Non pour charmer, ce qui opère en effet, mais parce qu’il entend retrouver le naturel de l’oralité primitive.

Car c’est ainsi qu’il crée, Antoine Wauters, à voix haute. Les mots, les phrases, l’histoire elle-même lui viennent ainsi et il les cueille en bouche et les enregistre. C’est alors ce matériau sonore qu’il travaille, cisèle, précise et met en forme. Selon une technique de poésie dont ses textes en prose comme ceux de Césarine, gardent la trace encore fraîche : des allitérations ou rimes intérieures, le chant surtout, malgré la dure écorce du propos.

Une histoire, il y en a une. Pas banale, ni dans le fond ni dans la forme. Wauters qualifie son texte de poème narratif. Mais de l’écriture poétique, il a gardé le ton, la structure en strophes, ou laisses, comme on dit des chansons du Moyen âge. Une par page, manière de quadriller, d’enfermer une unité de sens. Ce dispositif peut aussi évoquer l’émission de départ et reproduire ce que le poète a pu prononcer d’une traite : façon donc de transcrire la respiration même du texte. Page par page, chapitre par chapitre, le récit, non chronologique prend tout de même cohérence. Il s’agit bien d’une histoire, celle de deux jumeaux que leurs parents, des paysans, ont abandonnés. Ces enfants perdus
ont voulu transformer leur abandon en liberté : une indocilité et un défi que la société ne pouvait tolérer et qu’elle allait s’appliquer à briser. Qu’on ne s’attende pas à un ton compassionnel pour dénoncer le martyre de ces enfants innocents.

Rien de réaliste dans les évocations des poursuites, enfermements, et punitions. Mais, bien davantage. Les étapes de ce récit, qui parfois, s’apparente au conte cruel, dans la deuxième partie notamment, composent progressivement un tableau qui serait d’une violence insoutenable, n’était sa beauté fulgurante. Avec de tels moyens, mais aussi en se gardant ses voies particulières, la poésie peut, elle aussi, dénoncer qui traque, injurie, supplicie et même assassine ceux qui ne se conforment pas à ses lois et ont choisi de vivre en marge. Tout cela est métaphorisé, passe par le filtre de la poésie ou de l’imaginaire du conte. Wauters se dégage ici de la poésie « pure », close sur elle-même, pour écouter et dire le monde, à sa façon de poète. Il sauve en tout cas ces enfants dont il évoque le destin par l’amour, mais aussi par la beauté qu’il leur confère par le texte. Car l’écriture sur l’écriture est elle aussi une forme d’action. Il faut, pour
conclure, reprendre la formule de Wauters, tant elle est appropriée : il s’agit bien en effet de lire ici « un texte dur avec des mots doux ».

Jeannine Paque


Article paru dans Le Carnet et les Instants n° 172 (2012)