Une canicule incubatrice et polyphonique
Francis DANNEMARK, Chris DE BECKER et Yves FONCK, L’homme de septembre,
Estuaire, 2004
Dans l’interview qu’il a accordé à Jacques De Decker pour le DVD Littérature au présent (La Maison d’à-côté), Francis Dannemark se définit comme quelqu’un de fondamentalement frontalier, préoccupé avant tout d’établir des passerelles entre ses activités (auteur, éditeur, animateur) et leurs différents destinataires. Cet état d’esprit le prédisposait à inaugurer, avec L’homme de septembre, la collection Les Carnets littéraires des Editions Estuaire. Durant les quelques jours de l’histoire, Philippe, le personnage central, vit une sorte d’arrêt sur image plutôt désagréable. Il est principalement éditeur mais il a aussi des velléités d’écriture. Il est empêtré dans un essai sur Hopper. Il a fui la ville depuis quelques jours pour cause de canicule et s’est réfugié à la campagne dans la maison d’amis partis en vacances. Il pense avoir délibérément et définitivement choisi sa solitude sentimentale. Ces quelques jours pourraient être consacrés au repos et à l’oisiveté, mais Philippe, qui s’est volontairement coupé du monde (à l’exception notable de quelques conversations téléphoniques avec sa fille) s’angoisse, ressasse et cauchemarde.
Deux choses seulement captent son attention. Les disques de jazz d’abord, qui constituent une excellente bande-son pour sa mélancolie. Les films d’Hitchcock ensuite, qu’il redécouvre et dont les Photo Yves ambiances interfèrent avec ses souvenirs tout en nourrissant le sentiment d’étrangeté provoqué par son environnement.
Philippe fait, par hasard, la connaissance de Charles, le voisin de ses amis. Grâce à l’acuité d’esprit de celui-ci, grâce à sa prévenance, à sa bonhomie un peu nostalgique et à sa gentillesse, il va prendre du recul, assumer son talent de dessinateur et réaliser que son aptitude à séduire est intacte : il va pouvoir devenir l’homme de septembre. Le développement de l’histoire prime sur sa trame. Il est intimement lié au dialogue qui s’installe entre le texte de Francis Dannemark, les photos d’Yves Fonck et les illustrations de Chris De Becker. Le livre est construit en douze chapitres courts, tous introduits par une photographie. Ces clichés en noir et blanc posent sur les lieux un regard objectif, net et précis qui s’adresse directement au lecteur. La fraîcheur et la sérénité qui émanent des prises de vue ne permettent pas de les considérer comme des projections subjectives de Philippe. Elles correspondent plutôt au regard du narrateur (le livre est écrit à la troisième personne du singulier). En regard de chaque photo, sur la page de gauche, se trouve un fragment du texte du chapitre suivant. Le procédé permet de souligner la poésie du texte et invite le lecteur à se montrer attentif à la musique de la phrase, qui peut être envisagée comme un écho au jazz que Philippe écoute.
Le point de vue de Philippe est relayé par les illustrations de Chris De Becker. Les images foncées (du brun au noir), généralement nettement séparées du texte, concernent ce dont il se souvient ou ce qu’il voit distinctement. La chaleur oppressante qui pèse sur lui au propre et au figuré se traduit par des images orange vif qui empiètent parfois sur le texte, le surlignent, ou lui servent de trame. La relative harmonie à laquelle il parvient à la fin de l’histoire trouve sa traduction graphique dans la dernière illustration, qui synthétise toutes les voix du livre : une photographie d’un portrait de femme, dessiné par Philippe à la demande de Charles…
Thierry Leroy
Article paru dans Le Carnet et les Instants n°135 (2004)