Jacques Bernimolin

Jacques Bernimolin

Jacques Bernimolin

1923-1996. Une vie. Des poèmes. Des dessins, des graphismes subtils. Un poète étrange disparait dans l’indifférence générale.

C’est Francis Edeline qui me l’avait fait connaitre il y a de cela bien des années. Les Éditions de l’Atelier de l’Agneau viennent de publier Unpublished results – 333, un recueil de textes qui se termine par ces mots prémonitoires : « rester pour quitter et non quitter pour rester ». Quelques dessins originaux accompagnent l’ensemble, dans le même esprit que ceux qu’il avait publiés il y a quelques années sous le titre Confiture à l’orange.

Mais qui est donc Jacques Bernimolin ? Un poète qui joue avec les mots, certes, mais qui contribue à déstabiliser totalement son propre texte. Le poème est en quelque sorte atomisé de sensations multiples. Et on songe tout à la fois à Burroughs et à Michaux. Ajoutez à cela un humour qui peut être d’une extraordinaire férocité à l’égard des bonnes consciences de nos sociétés occidentales. Grand amateur de jazz, Bernimolin transmet ses paroles à un rythme souvent effréné. Toutes celles et tous ceux qui ont eu l’occasion de l’entendre dire ses poèmes dans une sorte de transe magique ont eu l’impression d’assister à un phénomène naturel (ouragan ou explosion de volcan…). Il n’est plus question ici de bon gout ou de mauvais gout, mais d’une approche du texte à l’état brut. Pour tenter de définir mieux cette poésie très neuve, je citerai ces mots de Françoise Favretto, qui conviennent très bien à cette œuvre de Bernimolin (même s’ils ont été écrits à propos du poète Robert Varlez) : « Ici, donc, les déchirures, fissures, coups de pinceaux noirs, dissolvant, effets d’optique, montages, créent l’illusion d’un autre monde, parfois tout à fait surréaliste, d’autres fois génératrices d’images mentales correspondant à des moments forts de la vie : la mort, l’amour, la guerre, l’accident, la vitesse, la souffrance, la torture, etc. »

Jeux de mots, calembours, cut-up, détournement de sens, faux lyrisme, humour décapant, sentimentalisme à rebrousse-poil, voilà quelques-uns des procédés utilisés par ce poète à la fois tendre et doux-amer, sans illusions, certes (mais sa vie fut pleine d’embuches, et difficile), mais d’une extrême générosité, lui qui vivait dans le plus grand dénuement et la plus grande solitude. Citons encore de lui « Oremus », publié en 1991 à Arras, par la revue Electre de Jean-Pierre Bobillot. Dans une revue de langue anglaise, l’artiste Guido Vermeulen analyse brièvement l’œuvre de Bernimolin et termine : « My only reaction before Mr Bernimolin is one of total silence & admiration ».

La revue M 25 a publié également de nombreux textes de cet auteur méconnu. Il faut espérer que cette œuvre soit éditée de manière complète.

Les travaux de Jacques Bernimolin apportent enfin rages, fureurs, sarcasmes et jubilations dans nos pâles contrées poétiques.

Jacques Izoard


Le rap de la croissance

Croassance croassance… je crois en Dieu
le compé-titille-vite-et-bien
une pompe cupidité sans aléas
pour une stratégie globale à trotter à part entière
une restructuration de la dignité bancaire
la croissance Ô virgule est un suicide multinational
et croître en Dieu est le devoir qui donne tous les droits
comme une plante, un bœuf ou une colonie de moustiques…

Et pas une relance à remuer dans la plaie
dans l’avenir je voix des casinos démontables, des banques flottantes
et le cannibalisme voué à c’qui est bien un sacrifice total
– montez donc de suite au front de tous les fonds
et culottes-dépôt
autrement je vois l’horreur massive et l’bifteck squelettique
mais rien qu’une erreur, banale comme comme tant d’autres !

Extrait de Unpublished results – 333, Atelier de l’agneau, 1995


Article paru dans Le Carnet et les Instants n°88 (1995)