Christian Janssens, La fascination Simenon

Simenon et le cinéma

Christian JANSSENS, La fascination Simenon, Cerf, 2005

janssens la fascination simenonImdb, base de données de cinéma en ligne, dénombre 174 adaptations de Simenon pour le grand et le petit écran, parmi lesquelles quarante-six films français. Le premier, La nuit du carrefour, date de 1932 ; le plus récent, Feux rouges, d’il y a deux ans. Signe que l’intérêt des cinéastes pour l’univers simenonien, né dès les débuts du parlant, ne s’est jamais démenti jusqu’à nos jours. Sans prétendre épuiser un aussi vaste sujet, l’essai synthétique de Chris­tian Janssens envisage les rapports de Si­menon et du cinéma sous plusieurs angles.

Après un bilan commenté des principales études parues sur la ques­tion, il s’intéresse en premier lieu à la position du romancier sur le cinéma. Position ambivalente, faite d’attirance et de dédain. Comme beaucoup de gens de sa génération, le jeune Simenon se passionne pour Chariot et l’expression­nisme allemand, mais n’en souscrit pas moins aux préjugés anti-cinéma de l’époque dans son billet de la Gazette de Liège. L’arrivée du parlant coïncide avec la parution des premiers Maigret, qui intéressent aussitôt le monde du ci­néma. Simenon participe à l’écriture des premiers films tirés de ses œuvres et en­visage bientôt de passer derrière la ca­méra pour mettre lui-même en scène La tête d’un homme. Le projet capote, le ro­mancier ayant semble-t-il sous-estimé ce qu’impliquait la réalisation d’un film. Suite à cette déconvenue, l’hom­me d’affaires l’emporte sur l’auteur déçu. Désormais, Simenon ne considé­rera plus le cinéma que comme une source de revenus annexes. Il se fera le gestionnaire sourcilleux et sans états d’âme de ses droits d’auteur en se passant, chose rare, d’intermédiaires pour traiter directement avec les producteurs, comme le montre l’analyse très instruc­tive de sa correspondance. Le cinéma français a puisé à l’œuvre de Simenon comme à un riche vivier de fictions, propre à séduire aussi bien des grands cinéastes que des artisans plus modestes auquel il a souvent permis de donner le meilleur d’eux-mêmes. Au-delà de cette évidence, Janssens s’at­tache à montrer combien le choix des romans adaptés est historiquement et culturellement situé. Il est lié à la sensi­bilité de chaque époque, aux stratégies de production, à la faveur changeante et à l’évolution des genres. Sur le grand écran, le Maigret des années trente, plongé dans les brumes du réalisme poétique, ne ressemble guère à celui des années cinquante, qui subit l’influence de la vogue du film de gangsters et de­vient un policier plus traditionnel. Qu’en est-il alors du travail de l’adapta­tion proprement dit ? Janssens en rend compte par des analyses fouillées mais un peu scolaires de deux Maigret d’après-guerre signés Jean Delannoy et du Train de Granier-Deferre. On pour­ra regretter que son choix ne se soit pas porté sur de meilleurs films (La neige était sale de Daquin, L’horloger de Saint-Paul ou les deux Chabrol), qui ont réussi une recréation proprement ciné­matographique, plus originale et plus forte de l’univers de Simenon ; mais surtout, que le recours quasi exclusif à l’analyse narratologique, qui envisage le film comme un « texte », l’amène à comparer le roman avec le scénario des films en négligeant, à quelques re­marques près, d’interroger ce qui se voit sur l’écran, autrement dit la mise en scène, elle aussi porteuse de sens.

En annexe, l’ouvrage propose un docu­ment passionnant : la correspondance intégrale entre Simenon et le jeune Ber­trand Tavernier à propos de l’adapta­tion de L’horloger Saint-Paul. Le con­traste entre la fougue du cinéaste s’étant battu des années pour mettre sur pied son premier film en n’hésitant pas à y investir ses économies personnelles et la sympathie bienveillante mais froide du romancier est révélateur de la distance que Simenon tenait à garder avec le monde du cinéma.

Christian Bréda


Article paru dans Le Carnet et les Instants n°138 (2005)