En quelques années, Espace Nord n’a cessé de changer de propriétaire et de marque. Pour mettre fin à cette dangereuse instabilité, la Communauté française a décidé de racheter cette collection unique, véritable patrimoine culturel de nos lettres.
Qui s’intéresse aux lettres belges de langue française connaît la collection Espace Nord. Créée au début des années 80 afin de republier sous format poche le patrimoine littéraire francophone devenu indisponible, elle compte à ce jour trois cent titres à son catalogue. Visant prioritairement le public scolaire, la collection a reçu dès l’origine le soutien de la Communauté française. On y trouve tout à la fois Simenon, Marie Gevers, de Ghelderode, Verhaeren, Maeterlinck, Charles De Coster, Paul Willems, Suzanne Lilar, Jacqueline Harpman, Pierre Mertens, Jean Louvet, Gaston Compère, Simon Leys, Jacques Izoard, Raoul Vaneigem, François Emmanuel, Caroline Lamarche… bref les classiques de nos lettres ainsi que les fers de lance de la production contemporaine.
Les éditions Labor qui accueillirent la collection furent reprises en 1992 par Marie-Paule Eskenazi qui, en 2002, les revendit au groupe TXT Média. Après la faillite de ce dernier, c’est Luc Pire qui racheta la collection en 2007 avant d’être écarté de son propre groupe, Tournesol Conseils, par RTL, son actionnaire majoritaire. En 2010, la maison fut cédée à l’homme d’affaires Alain Van Gelderen. Bref, en quelques années, Espace Nord a changé cinq fois de mains et quatre fois de marque : Labor, Labor Littérature, Luc Pire et Renaissance du Livre. Seul le soutien de la Communauté française est resté constant. En près de trente ans, elle a investi dans la collection l’équivalent de deux millions d’euros.
Tournesol Conseils, en réorganisation judiciaire, désirant se concentrer prioritairement sur l’édition contemporaine, le risque était grand de voir la collection reprise par un groupe éditorial intéressé par les seuls titres rentables. Ce qui en clair signifiait la disparition pure et simple d’Espace Nord.
Il s’agissait donc de sauver un patrimoine culturel, mission qui incombe aux pouvoirs publics. La comparaison avec un tableau de Magritte ou d’Ensor racheté par l’État sous peine de disparaître à l’étranger vient aussitôt à l’esprit. C’est pourquoi la Ministre de la Culture Fadila Laanan a fait adopter par le Gouvernement le rachat d’Espace Nord par la Communauté française, cession qui comprend la marque, le stock, les droits et les contrats avec les auteurs.
La Communauté française n’a bien sûr pas vocation à endosser le métier d’éditeur. C’est pourquoi un opérateur sera sous peu désigné pour faire revivre la collection en réimprimant d’abord les titres épuisés, en assurant sa gestion et sa promotion, notamment dans le milieu scolaire, et en étudiant sa diffusion numérique. Ensuite de nouveaux titres seront à nouveau publiés, comme par le passé, avec cette seule différence que la gestion de la collection sera désormais à l’abri des aléas économiques de maisons d’édition défaillantes.
Jean-Luc Outers
Article paru dans Le Carnet et les Instants n°165 (2011)