Marcel Moreau, Des hallalis dans les alléluias

Moreau ou l’intelligence de l’instinct

Marcel MOREAU, Des hallalis dans les alléluias, Paris, Denoël, 2009

moreau des hallalis dans les alleluiasSi l’on en croit son propos, Des hallalis dans les alléluias serait pour Marcel Moreau, que trois quarts de siècle contemplent du haut d’une œuvre aussi abondante que percutante, le CQFD d’une pensée et d’une «profération » jamais suspendues. Dernier de la série des « donc » conclusifs émis par l’auteur au dos de l’ouvrage patronné par une lithographie de l’ami Alechinsky: « Donc, ce livre fait monter le son d’une existence passée à rendre sa musique familière à l’obscur tonnerre du dernier des crescendos, celui-là même qui a sans doute manqué au Boléro de Ravel pour être assourdissant tout en demeurant indiciblement mélodieux. Donc. ».

Au fil du texte (que l’on pourrait en fait considérer comme la suite d’un long testament n’excluant évidemment pas de nombreux codicilles à venir), le verbe n’en finit pas de surgir comme matière même et comme témoin de l’instinct dans toute la richesse créatrice de son « intelligence » – notion récurrente – et de ses potentialités. Si l’on dit qu’ici encore, l’écrivain et l’écriture, le mot et la pensée se font l’amour, ce n’est pas une image, mais la réalité d’une étreinte charnelle,  indissociable pour l’auteur et par essence même, de celle qui magnifie et enchante une sexualité dont il reconnaît l’ardeur et la gourmandise. Et si l’on disculpe le terme de toute autoflagellation, aliénation ou contrition, ces « confessions » constituent en fait un retour sur soi dont la loyauté et les aveux de la mémoire rappellent à certains égards celles de saint Augustin. Alors que  le style « moreauesque » rejoint celui des grands mystiques comme celui des grands imprécateurs. Le flux torrentiel et polyphonique charrie tous les sédiments d’une vie consubstantielle à l’écriture et à la dialectique qu’elle génère en continu. Ode à « la » liberté. La seule qui soit digne de l’homme et d’un élan vital  que la puissance du langage – poétique au sens premier – exprime sous l’impulsion de cette « intelligence de l’instinct » déjà évoquée. Liberté qui « commence à l’inclassable » et qui blackboule les concessions au discours convenu, au ventre mou de la sacro-sainte « loi des bonnes formes », aux bêlements d’un monde en rupture d’illuminations où la notion même de liberté se fourvoie dans des laxismes ou des convoitises médiocres que l’on confond avec son contraire : la trahison de soi. Cela dit, le propos et les « hallalis » de Moreau n’ont rien d’abstrait. Ils sont en référence continue à la présence du monde et de la pensée environnante dans son vécu d’homme et d’écrivain. Qu’il s’agisse, par exemple, du nazisme et des spéculations subtiles sur le principe du Talion, de l’« aubaine pour les crapules ou les insignifiants » offerte par la plupart des émissions de variétés ou de téléréalité, des méfaits d’un universalisme quand il verse dans l’idiotie du « tout est bon », de son refus de confondre liberté de l’instinct avec anarchie ou de ses  reniements d’un communisme qui a cruellement déçu sa « passion pour la révolution d’Octobre », de l’idée de Dieu et de l’origine du monde. Et de bien d’autres choses encore, sans oublier une réflexion sur les mauvaises raisons qui ont présidé à la négrification médiatique du métis Obama. Comme complément à ces hallalis, Moreau se dévoile plus intimement encore dans un émouvant Entretien avec la « femme » de mon dernier souffle, si j’en crois ma respiration ». Confidences à la fois nues et rouées où il s’exprime sur ses éventuels regrets, sur ce que Quintes a représenté dans sa vie, sur son rapport à la célébrité, aux medias, à la vieillesse, à l’amour, à la peinture, aux lecteurs, à la Belgique aussi. Aux femmes bien entendu. On soupçonne au passage ce fin sourire jouant de la vague vulnérabilité de l’homme qui sait leur parler (et qui, par ailleurs, avoue prendre plaisir à faire la vaisselle pour leur épargner le contact avec une eau peu lustrale). Quant à la mort, cet allergique à la crémation lui a fait une concession. Au Père Lachaise, où il a du réconforter l’ami effondré à qui il avait, par plaisanterie, fait visiter son petit lopin de terre. En lui promettant « de tout faire pour retarder l’échéance ». Puisse-t-il tenir sa parole.

Ghislain Cotton


Article paru dans Le Carnet et les Instants n°157 (2009)