Pascal de Duve (1964-1993)

de duve cargo vie

L’auteur d’Izo et de Cargo vie est mort le 18 avril dernier, à l’âge de 29 ans. Nous avions publié dans notre précédent numéro une interview où le jeune homme s’expliquait longuement sur ses démarches. Mais nous n’avons pas été les seuls, loin s’en faut, à lui donner la parole.

Comme Hervé Guibert, duquel on n’a pas manqué de le rapprocher, Pascal de Duve avait touché un vaste public le jour de son passage à la télévision, lors de l’émission Ex libris du 13 janvier 1993. Autant que son courage et sa lucidité face à la maladie, c’est sans doute la force de ses convictions qui avait impressionné : cette manière simple et ferme de dire que malgré le sida – et avec lui – la vie continue, qu’il faut l’aimer parce qu’elle en vaut la peine, et qu’il faut lutter jusqu’au bout du possible. C’est encore ce qu’il devait répéter, le 3 mars, lors de son intervention à La marche du siècle sur France 3 : « Tout le monde peut, à sa manière, devenir un héros ».

Mais l’émotion qu’il suscitait allait devenir pathétique lors d’un troisième passage sur antenne (l’émission Durand la nuit sur TF1, le 9 mars). L’un des invités donnait des explications scientifiques sur le sida. « Captivé par les propos du professeur Chermann, le téléspectateur avait un instant oublié le regard du jeune homme qui venait de répéter : ‘Je n’ai pas le temps de mourir demain’. Quand soudain, tout a chaviré. Un cri rauque interrompt le discours du médecin, la caméra glisse et se pose sur le témoin au visage encore angélique quelques instants auparavant, les traits déformés, le corps recroquevillé. Tous les médecins présents sur le plateau se précipitent. Guillaume Durand, livide, tente d’expliquer aux téléspectateurs la situation avant de rendre l’antenne, pétrifié par l’émotion » (S. Ke., Le monde, 11 mars 1993).

L’irruption de ce corps malade, convulsif, sur les antennes généralement vouées à l’asepsie avait fait figure d’événement médiatique. N. Bellache, dans Globe hebdo (17 mars 1993), s’interrogeait sur ces « dérapages du direct », que la télévision pourrait avoir déclenchés « par la profusion même des reality shows ». Le même magazine n’hésitait pas à diffuser une photo de P. de Duve prise directement à la télé au moment où les yeux du jeune écrivain s’égarent : est-ce, pour un homme public, le prix à payer aujourd’hui pour que ses idées soient diffusées ?

L’engagement

Car, à sa manière, l’auteur de Cargo vie avait renoué avec une certaine tradition de l’engagement social. Il multipliait ses interventions dans la presse. Outre Le Carnet, La dernière heure (27 janvier), Grand angle (31 janvier) ont publié une interview de lui. Un journal flamand que nous n’avons pu identifier le présentait comme un écrivain « issu d’une des familles anversoises les plus renommées ». Dans l’entretien qu’il accordait à L. Rademakers pour ce journal, de Duve réaffirmait ce qu’il nous avait déclaré pour Le Carnet : « Mon métier est l’enseignement. Pendant trois ans, j’ai donné cours à des jeunes gens. Il n’y a rien de plus beau que de leur apprendre à connaitre le Monde – avec un grand M. […]  Je ne suis pas un écrivain. Écrire est un très beau et souverain mystère » (Traduit du néerlandais). Plusieurs magazines ont ouvert leurs colonnes au jeune écrivain-philosophe. Chaque fois, les messages étaient simples, chaleureux, efficaces : « Mon travail consiste à être un ambassadeur de l’espoir » (Le nouvel observateur, 18 février 1993). « Si ça vous chante, faites ce que vous voulez autant que vous le voulez et avec qui vous voulez ; mais pour que ces orgasmes ne soient pas des préludes à votre oraison funèbre, protégez-vous. Ayez des orgasmes intelligents pour en avoir beaucoup » (Globe hebdo, 10 mars 1993). Et dans VSD (11 mars 1993), en hommage à Cyril Collard, il écrivait : « Ton cœur est encore chaud, mais il ne bat plus. Au nôtre maintenant de battre encore plus fort qu’auparavant ».

Il serait vain d’énumérer la liste des journaux qui ont publié un article sur Cargo vie, car pratiquement toute la presse belge, française et suisse a évoqué ce livre, ne fût-ce que brièvement. Il figure en outre depuis longtemps parmi les meilleures ventes de la semaine présentées par le magazine professionnel Livres hebdo.

Son image

C’est le visage de P. de Duve qui illustre la plupart des articles qui lui ont été consacrés. Il s’agit, chaque fois, d’une des photos réalisées par J. Foley pour les éditions Lattès, à l’époque de la sortie d’Izo. Entretemps, le jeune homme, meurtri par la maladie, avait changé. Mais c’est l’ancienne image de lui qu’il préférait montrer. Seule La dernière heure a publié une photo récente. Vérité des êtres, vérité des images.

Aujourd’hui la mort a fait son œuvre et la presse, son travail : elle en a donc parlé. Pour le jour de ses funérailles, Pascal de Duve avait forgé le mot d’encièlement : «  – dispersion à tous vents de cendres d’intérêt somme toute très limité ».

Carmelo Virone

« Je prépare stoïquement ma fusion avec l’Univers, que je contemple de mes yeux tant que je peux, et de mon cœur j’essaie d’imaginer la partie invisible de son infinie grandeur ».
Jeudi 22 avril, en fin d’après-midi, la famille et les amis de Pascal de Duve se sont retrouvés au Père Lachaise pour son encièlement.
Des extraits d’Izo et de Cargo vie ont été lus, puis on laissa Saint-Saëns officier. Quand le soleil flamboya à travers les vitraux rouges de la chapelle, on aurait dit que l’univers rendait hommage à celui qui, chaque jour davantage, en reconnaissait la beauté.
Le temps a passé comme un songe, gardé son mystère ; ce fut une célébration agnostique, comme il l’avait voulu.
Sidéen sidéral, Pascal de Duve conservera longtemps son rayonnement dans le cœur de tous ceux qui, à travers ses livres ou par sa fréquentation, l’ont aimé.


Article paru dans Le Carnet et les Instants n°78 (1993)