La liberté de disparaître
Emmanuelle POL, L’homme sans bagages, Finitude, 2013
Désigné d’une simple initiale, S. , le personnage principal du roman d’Emmanuelle Pol, L’homme sans bagages, se trouve dès le premier chapitre quasi délesté de tout, de ses proches, ses parents étant morts dans un accident de voiture, et d’une parentèle hostile, à l’exception d’une tante éloignée, vieille fille, seule disposée à l’accueillir. L’orphelin peinera à se rappeler les circonstances qui l’ont conduit chez elle, figé qu’il est dans la déréliction : il se referme “comme une huître”, n’échangeant avec sa tutrice que le strict nécessaire des mots. Comme il est surdoué et de surcroît bûcheur, il termine son lycée en avance et dès l’âge de seize ans fuit vers la capitale où il réussit sans peine. Désormais ingénieur et géologue et après un bref temps de mariage, il s’en va courir le monde, en toute aisance. “Alternant au hasard hémisphères et continents”, le voici tout entier dévolu à l’aventure. Il devient réellement un voyageur sans attaches, gagnant toujours comme expert indépendant de quoi vivre sans s’engager. Ne prenant même plus la peine de se mettre en règle administrativement, il finit même par disparaître quasi totalement des registres officiels. Ce nomadisme lui convient parfaitement et se double évidemment d’une vie sentimentale sans attaches, sans aucun souci d’investissement matériel ou de procréation.
En observant très précisément son héros, dont elle conte avec verve les péripéties, l’auteure semble considérer ce choix de vie avec sympathie. Mais elle nous invite à réfléchir : n’y aurait-il pas là une manière idéale de vivre, un exercice du libre arbitre ? Elle ne se bornera pas au récit des performances de ce personnage particulièrement doué pour la liberté. Comme elle le suit pas à pas, elle va progressivement introduire des événements qui vont bientôt gripper cette belle organisation. Qui peut, qui doit l’emporter, de l’individualisme libertaire ou de la société normative ? à chacun son interprétation, car l’auteure laisse son œuvre ouverte, ménageant jusqu’au bout un aimable partage entre le sérieux et l’humour.
Jeannine Paque
Article paru dans Le Carnet et les Instants n°177 (2013)