Archives par étiquette : Anne-Lise Remacle

Dans le lent mouvement vers soi

Sandrine WILLEMS, Devenir oiseau : introduction à la vie gratuite, Impressions Nouvelles, 2018, 208 p., 17 € / ePub : 9.99 €, ISBN : 978-2-87449-599-1

Après un premier pan d’existence en tant que comédienne, metteuse en scène, scénariste et réalisatrice, l’auteure vient d’exercer douze ans comme psychologue dans la ville dorée mais sa passion pour son travail s’est consumée, ses repères vacillent de plus en plus. La joie s’est évaporée : « elle me paraissait ne pouvoir venir que de cet amour amoureux, qui me semblait inaccessible ». Autour d’elle, trois personnes se sont ôté la vie, et en dehors de ses patients, bien peu d’attaches la retiennent là où l’angoisse gagne du terrain. Continuer la lecture

Contre toute attente

Un coup de cœur du Carnet

Étienne VERHASSELT, Les pas perdus, Tripode, 2018, 15€, 140 p., ISBN : 9782370551634

verhasselt les pas perdusAprès Emmanuel Régniez et son Notre château aussi raffiné qu’effarant, les éditions du Tripode accueillent à nouveau un auteur résidant en nos terres, pour notre plus grand plaisir. C’est avec un recueil d’une quarantaine de courtes et vives nouvelles qu’Étienne Verhasselt – licencié en psychologie clinique et travaillant dans une communauté thérapeutique – fait son entrée dans leur catalogue singulier. À noter également que ce sont Les Pas perdus qui ont été choisis pour leur opération annuelle Les 400 coups, qui voit vingt illustrateurs et sérigraphes – dont Mehdi Beneitez qui signe la couverture, ou Anna Boulanger, auteure du Haret québécois ou de L’absence – s’emparer de la matière du livre pour en extraire des estampes de leur cru.  Continuer la lecture

Douze petites zones troubles

Françoise HOUDARTDieu le potier et quelques autres, Luce Wilquin, 2018, 176 p., 17€, ISBN : 978-2-88253-544-3

houdart dieu le potier et quelques autres.jpgAu commencement du monde était la glaise, et celle dont Françoise Houdart façonne ce recueil est ample, souple et constellée de grains incongrus, d’éclats qui grattent l’œil et la paume. Dans La lune dans le cagibi, une blanchisseuse depuis des lustres en concubinage avec un accidenté laisse enfin entrer la télévision dans sa demeure modeste  et c’est une véritable révolution: « Insensiblement,  l’axe de rotation de la planète Zénaïde s’était incliné vers l’astre en bakélite et les conséquences  climatiques internes n’avaient pas tardé à se manifester. » Au premier matin de sa nouvelle vie, une toute jeune épousée découvre une bouteille de lait sur le seuil, sans savoir quelles conséquences suries ruisselleront de ce simple objet apparu sans que personne ne semble l’avoir déposé. La Vieille qui fut jadis Mouya et somnole désormais dans son veuvage transforme les « Bonjour ! » que le voisinage lui délivre du bout des lèvres en un monde mouvant, où il lui est encore permis de rêver à son joueur de crosse, désormais figé sous la vitre du temps. À la tombée de l’âge, Rémi choisit de s’immerger au tréfonds dans cet étang qu’il a tant contemplé en quête d’apparitions et de réponses. Continuer la lecture

Tremblement de frère

Erik SVENMon frère et moi, Murmure des soirs, 2018, 126 p., 18€, ISBN : 978-2-930657-40-0

À L…, village en bordure de forêt, Colline l’aînée narratrice et Aubin le cadet sauvageon qui prend souvent la tangente sont à l’orée de l’adolescence et fusionnels comme des liserons. C’est qu’ils ne peuvent pratiquement compter que l’un sur l’autre : Édouard, leur père, ne vit que pour ses bulldozers. Josyane, leur mère, sombre la plupart du temps dans des migraines qui la rendent aigrie ou apathique. Continuer la lecture

Les gens normaux n’ont rien d’exceptionnel

Un coup de cœur du Carnet

Hedwige JEANMART, Les oiseaux sans tête, Gallimard, 2018, 316 p., 21€ / ePub : 14.99 €, ISBN : 9782072762888

jeanmart les oiseaux sans tete.jpgHedwige Jeanmart nous revient quatre ans après son Prix Rossel. Blanès , premier roman au décalage subtil, se glissait sous le haut-patronage de Roberto Bolaño. Eva, en plein deuil d’une relation arrachée de façon abrupte, y croisait d’énigmatiques aficionados de l’auteur chilien  et tentait de redonner du sens à sa vie.

Ici, dès l’entame, Hedwige Jeanmart s’assure de créer un climat qui crisse, des lignes à l’inquiétude tangible et de nous prendre à rebrousse-poil du récit. Nous y suivrons donc d’abord Blanche, transbahutant depuis quelques années un irritant caillou mental, et presqu’agacée par sa propre démarche: « Elle n’est pas sûre  qu’elle aimerait qu’on fasse ça avec sa vie à elle, aller voir, s’imaginer des choses. C’est un peu comme si elle s’était approprié Daniel, qu’elle pouvait en faire ce qu’elle voulait ».  Comme bientôt le lecteur, cette enquêtrice improvisée – qui a toujours eu plus de dégoût que de sympathie pour Daniel Deur – a pourtant à cœur de comprendre quel homme il était avant, pendant et après ses meurtres. Existe-t-il des indices qui nous mettent le doigt sur le rouage grippé, d’expliquer le « pourquoi » au-delà même du « comment » ? Est-on en mesure d’entrapercevoir de quelle façon s’esquisse l’être derrière le crime ?  Peut-on mettre des mots sur « ça » ? Continuer la lecture

Arabesques mammaires

Véronique SELS, La ballerine aux gros seins, Arthaud, 2018, 240p.,17 € / ePub : 11.99 €, ISBN : 978-2-08-141842-4

sels la ballerine aux gros seinsIn utero, Barberine Blin fait déjà des chorégraphies. Parée d’une improbable grenouillère en éponge avant même le premier plié, elle trouve au chat bien plus d’élégance qu’à ses semblables. Après le temps tardif de la marche, vient enfin l’accession au domaine tant fantasmé de la danse. Sous l’égide de M. Simon,  arrive la discipline drastique imposée au corps. Tout organisme soumis aux cinq positions de la danse classique doit en effet allonger la nuque, redresser le dos… et de préférence,  développer a minima ses protubérances mammaires. Voilà où le bât blesse : les gènes de Barberine lui ont donné le sein évident. Sous les étoffes, Sinistre et Dextre n’ont pourtant aucunement l’intention de s’en laisser compter par leur hôtesse apprentie rat de l’opéra. Elle aura beau s’affamer et user de bandages,  les deux mamelons prendront la parole avec volupté et occuperont le terrain un chapitre sur deux. N’hésiteront pas à bourgeonner à qui mieux mieux, à se pâmer lorsque leur jeune propriétaire vivra des rapprochements avec l’autre sexe. Toute à sa vocation exigeante, Barberine réfrène souvent ses propres désirs quand ses roberts, eux, ne cherchent qu’à s’épanouir davantage. Continuer la lecture

Le top 3 d’Anne-Lise Remacle

La suite de notre rétrospective de l’année. Aujourd’hui : le choix d’Anne-Lise Remacle.


Lire aussi : la fiche d’Anne-Lise Remacle


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À gauche ou à droite ? Là où ça gratte !

Alex VIZOREK, L’échappé belge : Chroniques et brèves, Kero Éditions / France Inter Éditions, 2017, 240p. , 15.90€/ePub : 11.99 €, ISBN : 9782366583991

vizorek l echappee belgeSi sa langue bien pendue oscillait entre deux pays – le nôtre et celui de nos comparses d’outre-Quiévrain – pour son premier recueil (Chroniques en Thalys) Alex Vizorek s’est cette fois bel et bien installé en France et notamment à Inter. Ce deuxième volume reprend donc la quintessence de trois années de chroniques radio féroces et facétieuses élaborées pour le 7/9 des studios rouges, et des brèves ou détournements d’extraits de presse insolites. Les Belges ne sont pour autant pas oubliés : ce sont Kroll et Vadot qui ponctuent les pages de leurs crobars et l’humoriste a réservé une trentaine de pages supplémentaires à sa mère patrie, incluant neuf capsules de Café Serré à l’ensemble. On y croisera notamment Laurette Onkelinx, Georges Dallemagne ou Paul Magnette. Continuer la lecture

Le goût des autres

Martine ROUHART, La solitude des étoiles, Murmures des soirs, 2017, 19€, 219 p., ISBN : 978-2-930657-38-7

rouhart la solitude des etoilesCamille, veuve et assistante vétérinaire, vit son existence à très basse intensité, dans un appartement qui surplombe un zoo. L’exubérance la bouscule, les autres la confrontent. Chaque voisin est source de stridence pour son onde intime discrète. Recroquevillée dans son quant-à-soi entre un lapin, un chat et les rares contacts avec sa mère Suzanne – de nature joviale et inquiète pour l’introversion radicale de sa fille – elle est toute entière suspendue dans l’attente d’autre chose, sans savoir même ce qui comblerait ce creux en elle. Une négligence au travail qui manque de coûter la vie à un chien la pousse à s’isoler encore davantage dans un maison-refuge, aux confins des Ardennes. Elle s’imagine y cheminer, loin de tout, dissoute dans l’environnement, jusqu’à ce qu’on frappe à sa porte. Continuer la lecture

Trois instants fragiles…mais emplis d’espoir ?

Agnès DUMONT, Denis LAPIÈRE, Michel VANDAM, C’est écrit près de chez vous, vol. 2, Éditions de la Province de Liège, 2017, 29 p., gratuit.

c est ecrit pres de chez vous.jpgValeureux mais surtout flamboyants de la plume sont les Liégeois et Liégeoises ! Voilà l’heureux  constat fait par La Bibliothèque centrale et les Éditions de la Province de Liège, désireux de mieux faire connaître la diversité littéraire de la région au plus grand nombre. Pour ce faire a été mise en place depuis 2016 C’est écrit près de chez vous, une opération qui varie les plaisirs, entre animations, lectures et rencontres. Après Nicolas Ancion, Luc Baba et Katia Lanero Zamora l’an dernier, c’est désormais Agnès Dumont, Denis Lapière et Michel Vandam qui sont mis en lumière par ces activités et dans la plaquette qui nous occupe ici, à travers trois nouvelles inédites. Notons que ces trois textes sont téléchargeables sur le site des Éditions de la Province de Liège ! Continuer la lecture

« Vivre dans un pays enfant raconteur d’histoires »

Luc BABA, Belgiques, Ker, 2017, 128 p., 12€/ePub : 5.99 €, ISBN : 978-2-87586-217-4

baba belgiques.jpgNous vous l’avions annoncé dans le numéro 193 du Carnet et les Instants (janvier – mars 2017), Ker Éditions lance une collection inédite, pour laquelle chaque auteur est convié à écrire une dizaine de nouvelles pour donner à lire l’essence de « sa » Belgique. Sont déjà annoncés, pour s’inscrire dans le droit fil du livre de Luc Baba qui nous occupe ici, un volume d’Yves Wellens et un autre de Françoise Lalande. Continuer la lecture

Régler son pas sur le pas d’un homme qui écrit : une tentative amoureuse

Véronique JANZYK, J’ai senti battre notre cœur, ONLiT, 2017, 12 €/ ePub : 5.99 €, 112 p., ISBN : 978-2-87560-090-5

janzyk j ai senti battre notre coeurAu centre du nouveau roman de Véronique Janzyk (Le vampire de Clichy, Les fées penchées), se niche une narratrice aux aguets des rythmes et des gestes singuliers d’un « tu » à qui elle adresse ses observations attentionnées, ses craintes d’effilochage face à leurs pas-de-deux qui tanguent entre synchronie et dissonance. « Tu », c’est cet homme rencontré sous un ciel en trompe-l’œil, à une exposition où il avait failli égarer son chapeau sur un mange-debout. Un esquif volontiers solitaire qui cheminait ce soir-là à contresens. « Tu » est aussi un auteur pour qui seuls comptent la marche, l’écriture et l’amour et qui s’adonne à ces trois passions avec principes, discipline et ténacité. Un être aux mécanismes complexes pour qui le temps est une obsession. Comment apprivoiser cet autre – si dessiné par ses habitudes qu’il est chamboulé, dégoûté par l’arrivée d’une chienne – mais conserver sa propre cadence, éviter de se diluer dans la relation ? Comment retrouver maillage commun ? Reste le liant des corps plus à l’unisson à l’horizontale que lors des promenades et celui de la littérature, territoire davantage accueillant pour l’être aimé que le monde du dehors, qu’il faut fendre sans prendre de pause, traverser à une cadence établie. Celle qui nous donne à lire ce « tu » a les mots pour nous faire glisser dans l’empathie : « Tu allais confiant. De cette confiance sont nés des bleus. Tu écris le temps qu’ils s’effacent. Les bleus d’enfance ne s’effacent pas. Il y a assez d’encre dedans pour écrire toute une vie. » Continuer la lecture

Séditions et quête de sens en territoire urbain

Éric BRUCHERLe jour est aussi une colère blanche, Luce Wilquin, 2017, 144 p., 15€, ISBN : 978-2882535399

brucher.jpgQuand il arrive en ville, le gang de Wolf (Lazlo, Parker, Hichie, Ginger, Markus, Zacharie) – corps mouvant des premières nouvelles du recueil et un des points de jonction avec La blancheur des étoiles, roman paru en 2014 – voudrait que les gens changent de trottoir. Que dégagent les bien-pensants, les moutons bêlant davantage qu’ils ne cogitent, les chiens qui vous cantonnent dans les cases établies ou tous ceux qui n’amènent pas leur graine de ras-le-bol à l’incandescence. Eux se muent en personnages (anti-) héroïques, chavirés – dans une langue tantôt extrêmement lyrique, tantôt cherchant à coller au plus près à leur bitume et à leurs saccades quasi fauves – et commettent leur lot d’incivilités et de graffitis rougeoyants pour faire frémir et réveiller le passant lambda anesthésié dans son confort confit. Live fast and die young est un slogan qui pourrait s’encrer sur leur peau. Jusqu’à ce que ce motto véloce et fiévreux devienne prophétique pour l’un d’entre eux. Continuer la lecture

Frayer avec la hou(il)le

Serge DELAIVESaumon noir, Éditions de la Province de Liège, 2017, 84 p., 14 €, ISBN : 9782390100737

delaiveSaumon noir, récit très intime et impressionniste, en mots et en images, s’inscrit dans une démarche plus large qu’une publication : il fut présenté dans le cadre de l’édition 2016 de la Trilogie contemporaine, Arts et Métaux. Sur le thème Nous ne sommes rien, soyons tout : récits de mémoire ouvrière[1], elle proposait notamment une exposition consacrée à la mémoire industrielle dans les bassins sidérurgiques de la région liégeoise, à savoir Hoyoux, Seraing, Sclessin, Saint-Nicolas et enfin Herstal, cœur encre et charbon du présent texte. Continuer la lecture

Insecte et homard

Romane BIRON, Le diable en pantoufles, MaelstrÖm, 2017, 120p.,13€, ISBN : 978-2-87505-266-7

bironVu de l’extérieur, le n°18 de l’allée du Silence a tout de l’habitation modèle avec jardinet propret, où niche une famille qui semble l’être tout autant : Charles, le père, est pragmatique et ses lunettes ne tolèrent aucune salissure. Chantal, la mère, gère les cordons de la bourse familiale de façon économe et livre des plateaux-repas au domicile des personnes âgées ou alitées. Leurs filles, Marie (13 ans) et Élodie (6 ans) sont élevées de façon très pieuse, avec la Radio Chrétienne Francophone en fond sonore continu, au point que l’aînée préfère Bernadette Soubirous à toutes les stars pailletées dont s’amourachent les jeunes de son âge. Elles partagent une même chambre qui devient le théâtre de leur imaginaire, leur rempart contre le monde extérieur. À quelques pâtés de maison de là, leur grassouillette et guillerette Mamie Framboise ne dit jamais non à un bon gâteau et ne raterait pour rien au monde un match des Diables Rouges. Continuer la lecture

Combler l’odeur de son absence

Claire DEVILLE, Les citrons, Murmure des soirs, 2017, 101p., 12€, ISBN : 978-2-930657-36-3

devilleLa narratrice est une jeune femme dont la vie en dehors de sa passion déçue nous échappe, s’est figée : on la découvrira figurante lumière un peu gauche et désormais pétrie de rêves hallucinés ou amers. Une de ces héroïnes candides et crues à la fois qui ont aimé danser sous un regard aimant mais ne vivront plus de pas de deux avec le partenaire élu. Une amoureuse (é)perdue, une laissée-pour-compte qui n’a plus qu’une maison jadis partagée où se tapir loin du monde et revivre à l’envi le manque de l’être adulé, parti au bras d’une autre : « Tu es avec elle le matin. Tu ouvres les yeux en face des siens. Tu dis bonjour tout sommeil sur ses lèvres, avant de tirer sur les draps et de jouer à faire le chat pour la réveiller en riant. » Continuer la lecture