Caroline VALENTINY, Il fait bleu sous les tombes, Albin Michel, 2020, 184 p., 16.90 € / ePub : 11.99 €, ISBN : 978-2-226-44794-4
Il fait bleu sous les tombes. Le titre – un brin de mystère, un soupçon de poésie – donne d’emblée le ton du premier roman de Caroline Valentiny, qui lance la rentrée littéraire d’hiver des éditions Albin Michel.
Un premier roman choral, qui suit les parcours de Madeleine, la mère ; de Pierre, le père ; de Juliette, l’amie-amoureuse et de Noémie, la petite sœur, comme autant de lézardes creusées par une unique déflagration : la mort d’Alexis, un étudiant de vingt ans, dont le roman suit aussi les pensées post-mortem. Un livre à cinq voix, qui dans la brièveté de ses 180 pages, arpente aussi trois voiES. Continuer la lecture →
Sophie Marie DUMONT, De l’autre côté des flammes, Genèse, 2019, 175 p., 20 € / ePub : 12.99 €, ISBN : 979-10-94689-58-5
Insérer la fiction dans l’Histoire constitue un des moyens d’explorer un destin individuel dans un lieu et un temps que le romancier évoque avec la liberté de l’imaginaire. Dans le cas de ce premier roman de la blogueuse littéraire Sophie Marie Dumont, l’événement qui constitue le pivot du récit est un des drames qui a endeuillé la Belgique au siècle dernier, et a marqué les esprits et les mémoires aussi durablement que, dix ans plus tôt, la catastrophe minière du bois du Cazier : l’incendie des grands magasins L’Innovation le lundi 22 mai 1967. Continuer la lecture →
Isabelle FABLE, Ces trous dans ma vie, Préface de Gabriel Ringlet, M.E.O., 2019, 202 p., 17 €, ISBN : 978-2-8070-0216-6
Ces trous dans ma vie. Par ces mots frappants, poignants, Isabelle Fable évoque les êtres aimés disparus. Les fait revivre par la force de l’amour, leur rend chair et âme, voix et regard. S’émeut, s’émerveille de « cette proximité paradoxale que crée la mort d’un être aimé, qui nous quitte… et qui vient faire partie de notre profondeur intime. Nous nous chargeons de lui, en quelque sorte. Nous le prenons en nous pour une autre forme de vie, subtile. » Continuer la lecture →
Pêcheur de crustacés et de gastéropodes en mer de Bretagne, Vladimir Savidan, qui se souciait beaucoup de la sécurité des autres mais ne portait jamais de gilet de sauvetage, a vu un jour l’Atlantique prendre l’ascendant sur Baïkonour, son Cleopatra Fisherman 38, et a disparu au fonds des flots, laissant comme seul legs à Edith et Anka celui des épouses et progénitures de marins : après l’attente, un corps manquant. L’absence d’une marque tangible de fin de vie. L’une et l’autre réagissent d’ailleurs très différemment à la tragédie. Amoureuse depuis l’enfance de cette immensité d’eau – rêvant même d’y trouver sa place, de préférence à la barre – Anka contracte une colère sourde contre cette amie chère qui lui a ravi définitivement son modèle et père, en maîtresse avide. A contrario, la femme du loup de mer est dans le déni, fomente des prières par intermédiaire pour faire revenir l’être aimé et, tout à trac, se mue en fabrique de soupes. Des potages qu’elle prend soin de mettre dans des thermos individuels pour tous les camarades de son mari, avec pour promesse qu’ils les lui rendent. Dans cette tractation, elle entrevoit qu’ils reviendront au port et fait un pacte avec l’espoir, crée du lien entre la terre ferme et l’océan. Continuer la lecture →
Mars 2017, à la veille de son cinquante-septième anniversaire, Éric-Emmanuel Schmitt devient orphelin : cinq ans après son père, sa mère s’éteint. « Un jour comme les autres, tout devient différent. » Comment poursuit-on la route quand on est « plus l’enfant de personne » ? Où trouver la force d’accomplir le « devoir de bonheur » si cher à sa maman quand seul le chagrin semble vouloir de lui ? On lui répète qu’il faut deux ans pour faire son deuil mais à quoi peut bien rimer ce genre de lieux communs ? Continuer la lecture →
Pour sa vingt-huitième rentrée littéraire, Amélie Nothomb revient avec un roman au titre minimaliste : Soif. Elle y raconte les derniers jours de Jésus, à la première personne.
Dans ses écrits autobiographiques, Nothomb révèle la place singulière que Jésus occupe dans sa vie, depuis la toute petite enfance. Figure d’identification, avec qui elle se sent « une connivence profonde […], car [elle] étai[t] sûre de comprendre la révolte qui l’animait » (Métaphysique des tubes, 2000), Jésus est aussi un modèle :
Récapitulons : petite je voulais devenir Dieu. Très vite, je compris que c’était trop demander et je mis un peu d’eau bénite dans mon vin de messe : je serais Jésus. (Stupeur et tremblements, 1999)
Myriam WATTHEE-DELMOTTE, Dépasser la mort. L’agir de la littérature, Actes Sud, 2019, 272 p., 21 €, ISBN : 978-2-330-11804-4
« Je suis juste quelqu’un qui, comme nous tous, a vu s’effondrer la falaise juste à côté de soi, qui a tremblé au bord du gouffre, et qui a échappé au vertige parce qu’un, puis deux, puis un grand nombre d’écrivains lui ont pris la main pour le tirer en arrière. Venez, je vous précède et je les suis. »
En ouverture de son dernier livre, Myriam Watthee-Delmotte nous fait la confidence du suicide d’un ami, André, dont la mort à quarante ans a provoqué le séisme intime dans lequel nous plonge la disparition des êtres chers. Ce bouleversement laisse sans voix et sans mots ceux qui, au contraire de Myriam Watthee-Delmotte, n’ont pas exploré les voies de résilience que la littérature nous ouvre et dont l’auteure de Dépasser la mort nous propose ici quelques titres choisis dans sa bibliothèque. Celle qui a créé le Centre de Recherche sur l’Imaginaire à l’Université catholique de Louvain a élargi le champ du littéraire à celui de la musique : son livre nous propose un accompagnement musical sélectionné dans le catalogue du label Cypres, et disponible en écoute libre sur le site de l’éditeur musical.
Gabriel RINGLET, La grâce des jours uniques. Éloge de la célébration, Albin Michel, 2018, 220 p., 18€ / ePub : 12.99 €, ISBN : 978-2-226-43747-1
Le besoin de rituel est inscrit au cœur de l’humain, fût-ce sous la forme du café du matin, préparé au Bodum, au percolateur ou à l’italienne, servi long ou serré, avec ou sans sucre, noir ou au lait, dans telle tasse, toutes choses que le lieutenant Estalère (dans les romans policiers de Fred Vargas) connaît sur le bout des doigts, compétence grâce à laquelle il participe puissamment à la liturgie des réunions plénières de l’équipe du commissaire Adamsberg. Le rituel quotidien, avec la suite et la fuite des jours, a été magnifié par Colette Nys-Mazure, dans son beau recueil Célébration du quotidien, préfacé par Gabriel Ringlet.
Et puis, il y a les jours uniques dont la célébration fait l’objet du nouveau livre de Gabriel Ringlet. Continuer la lecture →
Nicolas FLORENCE, À la gorge, Librairie-Galerie Racine, 2018, 290 p., 15 €, ISBN : 978-2-24304-674-
À la gorge. Le titre a de quoi nous saisir. Le livre de Nicolas Florence, tout autant.
Il s’ouvre par une rafale de meurtres sur le campus de l’université de B., présentant de troublants points communs. Les victimes – quatre filles, un garçon – sont de jeunes chercheurs universitaires, attachés à la faculté des Sciences, section Géographie, proches de Greenpeace, certains venus de l’étranger, telle Rachel, de l’université de Tel Aviv, qui s’est vu proposer un poste de doctorante à B., dans le cadre d’une recherche très pointue sur l’écologie en Antarctique. Retrouvés étranglés, en partie dévêtus, dépouillés de papiers d’identité, à la veille de s’engager dans cette recherche scientifique, sous la conduite du professeur Gladys du Pertuis. Continuer la lecture →
Barbara ABEL, Je t’aime, Belfond, 2018, 464 p., 19.50 € / ePub : 13.99 €, ISBN : 9782714476333
Je t’aime, le nouveau roman de Barbara Abel, est construit autour d’un fait divers. Un jeune conducteur percute un car scolaire, tue un écolier de sept ans assis au mauvais endroit dans le bus, et meurt lui-même sur le coup. La police reconstitue sans peine la chronologie des faits et trouve rapidement les causes de l’accident : le jeune homme avait fumé du cannabis toute l’après-midi avant de prendre le volant. Continuer la lecture →
Laurence SKIVÉE, L’air est différent, La Lettre volée, 2018, 101 p., 17 €, ISBN : 978-2-87317-507-8
Artiste plasticienne, Laurence Skivée interroge la vie par le dessin, par la photographie, la sculpture, la vidéo au fil d’une attention à ce qui se dérobe, dans une ouverture aux interstices de l’existence. Nul étonnement à voir sa poétique des instants dérobés, sa descente plastique dans les mondes de l’enfance en venir à la forme poétique, gagner le territoire mouvant du verbe. Après le livre d’artiste Je m’emballe (La Lettre volée, 2013), L’air est différent sécrète une écriture-regard acquise au recueillement d’instantanés de l’existence. C’est la mort de proches qui l’a poussée à s’emparer de ce nouveau médium. D’emblée, le texte tisse un lien en intériorité entre expérience de la perte et éclosion du verbe. Comme la photographie, le mot est chargé d’une valence testimoniale, fait pièce à l’oubli, officie un travail de deuil. La forme est celle d’un mouvement en suspens, d’une nuée d’haïkus qui, privilégiant un principe d’économie, entend suggérer la présence au travers de l’absence. Captures de fragments sensitifs, émotifs d’une vie, désubjectivation des personnages pris dans une épure voisine de celle de Beckett, mise en voix d’une tragédie traitée sur le mode minimaliste du « less is more », L’air est différent tournoie autour de moments minuscules, des frôlements imperceptibles de corps qui dansent « sur Fontaine et Trenet ». « Bientôt l’un de nous mourut. N’étaient restées que les cendres » (…) « Nous éparpillâmes tes cendres à Ostende / et le monde partit sur tes traces. / Anonyme Amour ». Continuer la lecture →
Armel JOB, Une femme que j’aimais, Robert Laffont, 2018, 296 p., 19,5 € / ePub : 12.99 €, ISBN : 9782221215449
La vie de Claude ne fait pas vraiment rêver. Aide-pharmacien de profession, il occupe son temps libre au cinéma et en rendant visite à sa famille le week-end. Ses parents d’une part et surtout, sa tante Adrienne, quinquagénaire au charme indéniable, qui a marqué la mémoire de tous les hommes qui ont croisé sa route. Claude lui voue une sorte de culte et, de son côté, elle éprouve une grande affection pour son neveu. Leur relation et leurs rendez-vous hebdomadaires ne réjouissent pas leur entourage et font jaser dans la famille. Continuer la lecture →
Yves Tenret, dans son dernier livre, nous ouvre son journal de presqu’outre-tombe. Il a été victime d’un AVC, il s’en est tiré, mais il a senti que la faucheuse n’était pas passée loin. Alors, encore scandalisé par la trouille, il crache. Les crachats de Tenret maculent sa chambre, et dessinent un dialogue envoûtant entre les bribes de diagnostics et les ricanements, les morceaux de bravoure technico-médicaux et les pièces de verve inquiète : un livre comme un bras d’honneur aux asticots. Continuer la lecture →
Daniel Salvatore SCHIFFER, Traité de la mort sublime. L’art de mourir de Socrate à David Bowie, Alma, 2018, 340 p., 20 €, ISBN : 978-2-36279-249-6
« La mort viendra / et elle aura tes yeux », écrivait le poète Cesare Pavese qui, comme bien d’autres exténués de l’existence, décida d’en finir, par défenestration, avec le métier de vivre… Ces mots vous reviendront sans doute à l’esprit dès que vous croiserez, en couverture du dernier opus de l’essayiste et philosophe Daniel Salvatore Schiffer, le regard vairon reconnaissable entre mille de David Bowie, qui vous fixe en manière de bravade. Bowie. Une trajectoire qui a zébré la fin d’un siècle et le début du suivant d’un éclair rouge et bleu. Un météore devenu mythe, et dont l’esthète Schiffer s’empare comme ultime exempla de l’attitude en tout point noble, à adopter face à la tombée de la plus Grande Nuit. Continuer la lecture →
Jean-Luc OUTERS, Le dernier jour, avant-propos de JMG Le Clézio, Gallimard, 2017, 152 p., 14,50 €/ePub : 10,99 €, ISBN : 9782072732775
L’écriture et l’art en général ont au moins en commun avec la mort de comporter une part importante de mystère. Se fondant sur la connaissance intime qu’il en avait, complétée par les souvenirs des proches, Jean-Luc Outers a composé six tableaux relatant les derniers jours de six personnalités belges d’exception. Un défi singulier qu’il relève avec brio et finesse, s’inscrivant ainsi dans les traces de Mallarmé et de ses Tombeaux, comme le souligne JMG Le Clézio dans son avant-propos chaleureux. Continuer la lecture →
Stéphanie BLANCHOUD, Jackson Bay, Lansman, 2017, 64 p., 12€, ISBN : 978-2-8071-0131-9
Jackson Bay, Nouvelle-Zélande. Le bout du monde. Les touristes y vont pour sa nature sauvage, ses plages escarpées, sa faune locale… et surtout sa solitude de baie isolée du reste du monde. Le beau temps n’est pas toujours de la partie. Norman, Jeanne, Fish et Mendy y sont coincés. Les intempéries les obligent à rester enfermés dans la kitchenette du camping. L’envie de s’évader est très présente, mais chacun doit prendre son mal en patience. Dans ce huis-clos non désiré, on tue le temps et on apprend peu à peu à se connaître. Norman et Jeanne, la quarantaine, voyagent ensemble en camping-car. Norman a perdu sa femme, Claire, depuis peu. Il réalise son plus grand rêve : voyager en Nouvelle-Zélande, à défaut d’avoir pu le faire avec elle, si ce n’est à travers la lecture du Lonely Planet. Jeanne n’est pas très heureuse dans cette relation. Elle comble son mal-être en parlant beaucoup. Elle aimerait que Norman soit plus tendre, mais il reste dans sa bulle. Fish et Mendy, la trentaine, voyagent en solitaire. Eux aussi ont emporté avec eux leur lot de malheurs. Ils semblent se plaire et se rapprochent l’un de l’autre. Continuer la lecture →