Barbara Abel, Duelle

Un implacable thriller psychologique

Barbara ABELDuelleLe masque, 2005

abel duelleAprès L’instinct maternel, Prix Cognac 2002, et Un bel âge pour mourir, tous deux déjà pu­bliés au Masque, voici Duelle, le troi­sième roman de Barbara Abel, à qui nous pouvons, sans trop risquer de nous tromper, prédire très vite la reconnais­sance du grand public en tant que dauphine du thriller psychologique franco­phone. Les libraires en tous cas, lors de la soirée de présentation du livre à Bruxelles par les éditions du Masque, n’ont pas fait mystère de leur sympathie renouvelée, envers ses héroïnes, mais aussi face à sa virtuosité démoniaque à piéger les lecteurs dans des intrigues inédites à rebondissements multiples.

Duelle relate l’histoire de Lucy, une jeune femme qui a grandi sans histoire au sein de sa famille d’adoption, et qui mène aujourd’hui à Saint-Gilles une vie de petite bourgeoise privilégiée avec Yves, son mari attentionné, et leurs deux adorables enfants. Devine qui est là ?, une émission de téléréalité qui ré­unit ceux que la vie a séparés — soit dit en passant, aussi stupide et indécente dans le livre que dans la vraie télé — la contacte : quelqu’un cherche à la re­trouver. Serait-ce sa vraie mère ? Il s’agit de sa sœur jumelle, Angèle, donc Lucy ignorait jusqu’à l’existence. Au fil des retrouvailles, d’une intensité qu’on imagine aisément, les rapports entre les deux sœurs évoluent étrange­ment, modifiant leurs relations à autrui autant que l’image qu’elles ont d’elles-mêmes. On imagine toutes les déclinai­sons auxquelles se prête le thème de la gémellité : subtiles interférences phy­siques et psychiques, jeux de ressemblances et dissemblances, identifications jalouses, haine en fusion. Au fil des péripéties et rebondissements, le lecteur a beau vouloir s’arrêter un ins­tant, le temps d’imaginer les développe­ments possibles, l’auteur, machiavéli­que, le surprend encore et toujours au détour de la scène inattendue. Barbara Abel fait preuve ici d’une perversité inimaginable, peut-être encore pire que dans les deux romans précédents, où le lecteur du moins se savait confronté à quelques psychopathes clairement cam­pés. Aujourd’hui, l’auteur transcendant avec brio les frontières qui rassurent, il n’est plus seulement question de bons et de mauvais : les personnages évoluent en équilibre incertain entre perversion et folie.

Certes, il reste des faiblesses, même si le travail de relecture littéraire mené avec l’éditrice est à saluer. Quelques lieux communs peut-être, des moments où le récit interprété d’une plume limpide cède la place à des lourdeurs évitables, de petites incohérences dans la con­struction psychologique de certains per­sonnages secondaires. Mais il y a aussi et surtout une vraie jubilation à se faire surprendre à plusieurs reprises par cette intrigue tissée de main de maître. Une intrigue qui, disons-le tout net, nous a bien plus captivée et séduite que celle d’un Da Vinci code totalement abracadabrantesque, à peine habité de personnages totalement aseptisés…

Judith Szwarc


Article paru dans Le Carnet et les Instants n°137 (2005)