Archives par étiquette : Essai

Genèse et devenirs d’un super-héros

Un coup de cœur du Carnet

Charline LAMBERT, Docteur Strange. Les mains et l’esprit, Impressions nouvelles, coll. « La Fabrique des héros », 2023, 128 p., 13 €, ISBN : 978-2-39070-048-7

lambert docteur strange les mains et l'espritAvant d’être interprétation, embardées herméneutiques, la lecture est affaire de perception, d’attention à des plis conceptuels, narratifs, diégétiques. C’est sous l’angle des modifications des niveaux de perception que subissent le Docteur Strange et ses lecteurs/spectateurs que la poétesse, essayiste et chroniqueuse Charline Lambert interroge le super-héros des Marvel Comics, créé par Stan Lee et Steve Ditko, apparaissant pour la première fois en 1963. Attentif aux points de bascule, aux inflexions de la trajectoire du « plus grand neurochirurgien du monde », à l’accident de voiture qui occasionnera la perte de ses mains en or, Docteur Strange. Les mains et l’esprit retrace la genèse et les devenirs d’un homme arrogant, auréolé d’un ego surdimensionné. A la faveur de la blessure, une série de métamorphoses l’entraîne dans une initiation, dans l’épreuve d’une conversion qui l’amène à se déprendre des grilles de la pensée occidentale et à s’ouvrir aux sagesses de l’Orient. Continuer la lecture

Dépasser l’anti-art avec Dotremont

Christian DOTREMONT, Dépassons l’anti-art. Écrits sur l’art, le cinéma et la littérature, 1948-1978, édition établie par Stéphane Massonet, Atelier contemporain, 2022, 944 p., 25 €, ISBN : 978-2-85035-073-3

dotremont depassons l anti artNous sommes en 1960. Une revue danoise sollicite Christian Dotremont pour retracer l’apport spécifique des artistes danois à l’art expérimental et au mouvement CoBrA. Mais CoBrA s’est dissout en 1951, peu après sa 2e et dernière exposition internationale qui s’est tenue à Liège. Les artistes du groupe, qu’ils soient hollandais, danois, belges, français, et autres, ont continué à tracer leur chemin, n’ignorent plus Paris dont ils s’étaient écartés en 1948, et la capitale française les accueille plutôt mieux. Alors Dotremont, un peu ennuyé, revient aux sources, vingt ans plus tôt : la création en 1941 d’un périodique danois, Helhesten, et d’un groupe réunissant des créateurs, architectes, peintres, dessinateurs, sculpteurs, poètes… dans une spontanéité expressionniste, un intérêt pour le primitivisme et une effervescence interdisciplinaire qui sera l’une des clés à venir de CoBrA. Continuer la lecture

Voie de la parole et pensée indienne

Un coup de cœur du Carnet

Sandrine WILLEMS, La parole comme voie spirituelle. Dialogue avec l’Inde, Seuil, 2023, 200 p., 19,50 € / ePub : 13,99 €, ISBN : 9782021493276

willems la parole comme voie spirituelle dialogue avec l'indeDans son dernier essai, l’écrivaine, philosophe, psychanalyste et réalisatrice Sandrine Willems nous invite à un décentrement, nous propose un voyage mental, esthétique et conceptuel loin de l’anthropocentrisme qui a façonné l’Occident. S’ils se voient remis en question de nos jours, de l’intérieur de nos sociétés, l’anthropocentrisme de l’Occident et son primat de l’humain ont eu une incidence sur notre perception de la parole réduite à la sphère humaine, confisquée par cette dernière. L’ouverture de l’esprit aux dimensions qui échappent à la raison se fait sœur d’une expérience de la spiritualité qui, afin de ne rester murée dans l’indicible, doit se mettre en quête d’un langage, plus exactement d’une parole qui puisse en rendre compte. Éblouissant essai sur les diverses visions de la parole, sur sa nature, son origine, son statut, ses effets, réflexions sur les puissances, les ressources, les mystères qu’elle détient, La parole comme voie spirituelle. Dialogue avec l’Inde nous convie à une rencontre avec l’Inde ancienne. Continuer la lecture

Hyperl∞plume

Luc DELLISSE, Le monde visible. Les aventures du réel, Impressions nouvelles, 2023, 254 p., 20 €, ISBN : 978-2-39070-020-3

dellisse Le monde invisibleLuc Dellisse s’est fait dentellier. Ses dernières publications sont toutes des textes courts, des napperons de lettres tissées avec soin. Sa plume au fuseau et au crochet, est maniée avec une délicatesse sur laquelle repose chaque phrase comme un soyeux coussin. Pourtant, il est un écrivain non de l’alcôve mais de terrain. Le matériau de son tissu est de l’herbe foulée au corps, les traits d’une pluie fine dont il fait les nuages, un rayon de soleil errant amusément sur sa paume de voyageur, une brume légère quoique tangible modelant un filigrane dont il fait sa griffe d’auteur.

Ces choix arbitraires ont une logique : il s’agit de faire tout de suite quelque chose d’inutile, d’agréable et d’urgent et d’éprouver la minceur de la frontière entre imaginer et passer à l’acte. Continuer la lecture

Luc Baba dans le sillage de grand-e-s auteur-e-s

Luc BABA, Plus de lumière !, Murmure des soirs, 2023, 165 p., 20 € / ePub : 12,99 €, ISBN : 978-2-930657-98-1

Luc Baba, Plus de lumière!Luc Baba s’est glissé dans le sillage de treize auteurs et deux autrices (que l’on n’aurait pas qualifiée de la sorte de leur vivant), Mary Shelley et Emily Brontë, pour remonter à la source de leur écriture. L’écrivain belge apporte ainsi Plus de lumière ! sur leurs œuvres, mais peut-être aussi sur la sienne.

Ce livre rassemble treize textes de factures très diverses, allant du récit de voyage au dialogue quasi théâtral, en passant par la description poétique d’un moment volé au temps littéraire qui passe comme le temps en général. Ces miscellanées ont surtout le mérite de nous donner envie de découvrir ou redécouvrir ces œuvres. On se plaît aussi à penser que Luc Baba règle par ces hommages des dettes aux écrivains qui ont abreuvé sa soif de lecture et nourri sa passion pour l’écriture. Il montre aussi sa grande érudition littéraire et, inspiré par ses modèles, instille ici et là quelques réflexions philosophiques bien senties sur la vie. Continuer la lecture

Attiser tous les feux

Pascale SEYS et Carine BRATZLAVSKY, Virginia Woolf, écrire dans la guerre, Midis de la poésie, 2023, 52 p., 10 €, ISBN : 9782931054086

seys bratzlavsky virgini woolf ecrire dans la guerreDe Virginia Woolf nous ne connaissons que peu de portraits. À vrai dire, toujours le même, présenté sous différentes nuances de gris. Fantomatique, transparente, Woolf nous apparaît sous un angle unique. Dans cet essai concis et parfaitement maîtrisé, Pascale Seys et Carine Bratzlavsky ajoutent une dimension à l’image fatiguée de l’autrice anglaise : on l’y découvre mouvante, mordante, habitée d’un feu que ni les conventions ni l’épouvantable marche du monde ne parviennent à étouffer.

Il est rare, au cours de l’Histoire, qu’un homme soit tombé sous les balles d’un fusil tenu par une femme ; la vaste majorité des oiseaux, des animaux tués, l’ont été par vous et non par nous. Continuer la lecture

« La toujours-bonne-nouvelle »

Un coup de cœur du Carnet

Gabriel RINGLET, La blessure et la grâce, Albin Michel, 2023, 277 p., 20 € / ePub : 13,99 €, ISBN : 978-2-226-48152-8

ringlet la blessure et la graceL’épigraphe de la pianiste Hélène Grimaud qui ouvre le nouvel opus de Gabriel Ringlet donne une clé de lecture de l’optique de cet essai : « Nous sommes toutes et tous blessés. Personne n’échappe au tragique de l’existence.  La seule différence est peut-être que l’artiste a davantage conscience de cette blessure, qu’il refuse de s’en accommoder, qu’il en fait une grâce. » Continuer la lecture

Les enjeux vitaux de la biodiversité

Un coup de cœur du Carnet

Marc SCHMITZ (coordination), Le souffleur de feuilles. La biodiversité n’est pas un luxe, elle est vitale, Préface de Vinciane Despret, Couleur livres, 2022, 128 p., 12 €, ISBN : 9782870039342

collectif le souffleur de feuillesC’est à partir d’un lieu bien précis, de la réserve naturelle du Kinsendael située dans le sud de Bruxelles que l’ouvrage collectif Le souffleur de feuilles. La biodiversité n’est pas un luxe, elle est vitale interroge les ressources conceptuelles et les scénarios à mettre en œuvre sur le terrain afin de fabriquer « des mondes encore habitables » (Vinciane Despret) où se nouent des liens harmonieux entre humains et non-humains. Composé d’acteurs issus de diverses disciplines, un collectif de contributeurs (Isabelle Stengers, Serge Gutwirth, Vinciane Despret qui signe la préface, Marc Schmitz qui coordonne l’ouvrage, Martine De Becker, Thérèse Verteneuil, Benoît Dumont, Olivier De Schutter, Jean-Claude Grégoire, Paul De Gobert, Amaury Vanlaer) s’empare des questions des territoires de vie où se déploient des mondes sauvages, semi-sauvages, de l’érosion catastrophique de la biodiversité, de la fragmentation de l’habitat, de la spatiophagie, de l’urbanisation galopante qui menacent la survie d’innombrables espèces animales et végétales pour penser un changement de paradigme qui en passe par le local. Continuer la lecture

Faire un film, entre maitrise et aventure

Luc DARDENNE, Au dos de nos images III. 2014-2022, Seuil, coll. « La Librairie du XXIe siècle », 2023, 478 p., 24 € / ePub : 16,99 €, ISBN : 978-2-02-152377

dardenne au dos de nos images IIIAprès ceux parus en 2005 et 2015, voici le troisième volume d’un journal où, très loin du narcissisme ou de l’anecdotique, le cinéaste Luc Dardenne a noté les multiples préoccupations intervenues en cours de travail : réflexions et interrogations sur le scénario, le tournage ou le montage, longues conversations avec son frère Jean-Pierre, livres lus, films visionnés et tableaux regardés, attentats islamistes ou racistes, discussions avec les critiques ou de simples spectateurs, etc. Comme dans les deux tomes précédents et contrairement à ce qu’on aurait pu craindre, le récit est passionnant, même pour un(e) non-spécialiste en cinéma : il permet d’approcher de manière concrète et vivante le très complexe processus de la création, en l’occurrence la réalisation de trois films : La fille inconnue, Le jeune Ahmed, Tori et Lokita, dont les scénarios sont intégralement reproduits en seconde partie du volume, après celui du Silence de Lorna. Ce « journal », l’auteur le précise, n’est pourtant pas un simple compte rendu de l’accompli. Les propos échangés entre les deux frères, avec les incessantes analyses et hypothèses qu’ils véhiculent, constituent aussi une sorte de « think tank », un réservoir d’idées exploitables ultérieurement : passé, présent et futur y sont donc étroitement intriqués. Continuer la lecture

« Voir l’insecte au visage »

Maurice MAETERLINCK, La vie des fourmis / La vie des termites, Postface de Mathilde Régent, Impressions nouvelles, coll. « Espace Nord », 2023, 390 p., 9 €, ISBN : 978-2-87568-566-7

maeterlinck la vie des termites la vie des fourmisDans la vaste production de Maurice Maeterlinck, les essais consacrés aux insectes sociaux occupent une place à part. Cette trilogie se trouve distendue, par sa chronologie d’abord, mais aussi par sa tonalité. Elle s’ouvre en 1901 avec La vie des abeilles, qui jouira d’un immense succès. Paul Gorceix jugeait que cet ouvrage pose « le problème de la Weltanschauung de Maeterlinck et, au-delà, celui de sa personnalité ». Que révèle en effet cette attention particulière à des collectivités invisibles, vivant en système clos dans le complexe réseau alvéolaire ou souterrain qu’elles ont dessiné, se reproduisant et s’organisant selon des modèles immuables depuis des millénaires sans doute, mais qui échappent encore partiellement à notre compréhension ? Cet intérêt croissant pour les ruches, les termitières et les fourmilières serait-il l’indice d’une fascination malsaine envers les régimes autoritaires ? Car si l’on transpose leur fonctionnement aux collectivités humaines, le pire régime des castes apparaît d’une bienveillance extrême… Continuer la lecture

Sauvagerie, nature et civilisation impitoyable

Alexandre GALAND, Delphine JACQUOT, Sauvage ?, Seuil jeunesse, 2022,
64 p., 20,90 €, ISBN : 9791023514797  

galand jacquot sauvageEn 2018, Alexandre Galand (docteur en histoire, en art et en archéologie) et Delphine Jacquot (illustratrice) nous avaient envoûtés avec Monstres et Merveilles (Le Seuil jeunesse), une visite dans les cabinets de curiosités à travers le temps. Avec Sauvage ?, le même duo, passionné d’étrange et d’extravagance, nous emmène loin dans les questionnements sur l’autre et nos représentations de l’altérité.

Extrêmement bien documentée, Sauvage ? est une encyclopédie de 64 pages immenses, composée de 4 parties, le sauvage des légendes, des « sauvages » pour l’Occident, la nature sauvage, les sauvages masqués. Un immense album jeunesse, un texte-image pour adultes et enfants nous invitant à penser l’autre. On y trouve les belles illustrations (les crédits se trouvent détaillés à la fin du livre), les mises en scène fabuleuses de Delphine Jacquot dont on reconnaît le trait. Continuer la lecture

La pharmacie de Marianne

Véronique BERGEN, Marianne Faithfull. Broken English, Densité, coll. « Discogonie », 2023, 116 p., 12 €, ISBN : 978-2-919296-35-4

bergen marianne faithfull broken englishChaque volume de la collection « Discogonie » des éditions Densité s’attache à un album de musique, envisagé comme « le récit sonore du commencement d’un monde propre au groupe de musiciens qui l’a gravé ». Après Patti Smith. Horses paru en 2018, Véronique Bergen contribue pour la deuxième fois à la série, en creusant le (micro)sillon du Broken English de Marianne Faithfull.

Icône du Swinging London, jeune chanteuse  folk, interprète du tube As tears go by co-écrit pour elle par Mick Jagger et Keith Richards, passée dans les années 1970 à une musique plus sombre, interprète de plus de vingt albums depuis 1965, autrice et compositrice de plusieurs d’entre eux, actrice pour Jean-Luc Godard (Made in USA), Patrice Chéreau (Intimité), Sofia Coppola (Marie-Antoinette) ou Philippe Blasband (Irina Palm) : le parcours artistique protéiforme de Marianne Faithfull, sa longévité, les chefs-d’œuvre auxquels elle est associée invitent autant aux longs développements qu’aux gloses superlatives. Collection « Discogonie » oblige, l’essai de Véronique Bergen se focalise sur un seul disque, mais il ne manque pas d’inscrire Broken English dans la trajectoire de la chanteuse. Continuer la lecture

Dans les pas de Van Gogh

Un coup de cœur du Carnet

Stéphane LAMBERT, Van Gogh. L’éternel sous l’éphémère, Arléa, coll. « La rencontre », 2023, 120 p., 17 €, ISBN : 9782363083241

lambert van gogh l eternel sous l ephemereAprès L’apocalypse heureuse, une fiction couronnée par le Prix Rossel 2022, après ses derniers essais Paul Klee jusqu’au fond de l’avenir et Être moi, toujours plus fort. Les paysages intérieurs de Léon Spilliaert, Stéphane Lambert nous offre un éblouissant pèlerinage, aussi intime qu’inspiré, dans l’œuvre de Vincent Van Gogh. Rares sont les livres qui sont touchés par la grâce. Grâce d’une rencontre, d’une plongée sensorielle dans une vie picturale dont l’auteur retrace la genèse du dedans, avec une vue qui s’apparente à celle d’un plasticien. Au plus près de la matière Van Gogh, au fil d’un texte vagabond, habité et érudit qui peut se lire comme une longue lettre adressée au créateur des Mangeurs de pommes de terre, des Tournesols, Van Gogh. L’éternel sous l’éphémère retrace le chemin de croix, l’itinérance d’un homme pérégrinant d’Amsterdam à Paris, d’Arles à Saint-Rémy et à Auvers-sur-Oise. Continuer la lecture

Quelque chose d’heureux

Luc DELLISSE, Mers intérieures, Carnet d’exil 2021, Le Cormier, 2022, 74 p., 15 €, ISBN : 978-2-87598-032-8

dellisse mers interieuresLes poètes sont pris dans cette tourmente de vivre chaque jour comme le premier. Pour eux, il n’y a pas d’acquis. Tout s’efface, tout est à reprendre sans fin. Luc Dellisse est poète, passionnément. À chaque mot, il s’investit. À chaque ligne, il tend cette corde raide du funambule qui pèse ses pas. À chaque phrase, il rompt, mais pour mieux partager.

Dans ses Mers intérieures, on ne plonge pas. C’est un journal imaginaire, rétrospectif : celui de l’année 2021, « une année comme les autres, excepté que j’ai jeté l’ancre dans le temps ». Une fois cette balise larguée, à même les flots de la mémoire, on peut quitter le temps comptable et l’aventure commence. Ce ne sont plus douze mois qui sont traversés ici, mais « Quatre saisons. Un seul regard ». Pour voir quoi ? Un défilé d’images et d’impressions qui ne nous appartiendront jamais entièrement, puisque ce sont d’abord les siennes ; une suite de vérités aussitôt retournées, de leçons de ténèbres qu’un brusque lever de rideau balaie sans état d’âme. Continuer la lecture

Isabelle Stengers. Activer les possibles

Un coup de cœur du Carnet

Isabelle STENGERS, Cosmopolitiques, La découverte/ Les empêcheurs de penser en rond, 2022, 628 p., 26 €, ISBN : 978-2-35925-222-4

stengers cosmopolitiquesAccompagnée d’une préface, « Vingt-cinq ans après », la nouvelle édition de Cosmopolitiques réunit en un seul volume les sept ouvrages publiés en 1997. Dans ces sept ouvrages devenus sept parties (La guerre des sciences ; L’invention de la mécanique : Pouvoir et raison ; Thermodynamique : la réalité physique en crise ; Mécanique quantique : la fin du rêve ; Au nom de la flèche du temps : le défi de Prigogine ; La vie et l’artifice : visages de l’émergence ;  Pour en finir avec la tolérance), Isabelle Stengers déplie les « chemins d’une pensée spéculative ». Questionnant la modalité « guerrière » de l’avancée des sciences modernes qui se positionnent en discréditant les discours des concurrents, en dressant la scène d’une opposition entre « ceux qui savent » et la doxa, elle propose une mise en récit de l’histoire des sciences modernes, une perspective dynamique et historique problématisant le rôle politique des savoirs, leurs conséquences pragmatiques. Continuer la lecture

Alliances entre morts et vivants

Vinciane DESPRET, Les morts à l’œuvre, Empêcheurs de penser en rond, 2023, 176 p., 20,50 € / ePub : 14,99 €, ISBN : 9782359252439

despret les morts a l'oeuvreProlongeant les questionnements posés dans Au bonheur des morts. Récits de ceux qui restent (La Découverte/Les Empêcheurs de penser en rond, 2015), Vinciane Despret consacre son nouvel essai à la mise en récit de cinq histoires qui témoignent de la manière dont les morts font agir les vivants. Le « comment raconter ? » des vies interrompues, des existences précipitées dans la mort fait partie intégrante d’un dispositif de pensée qui révolutionne et conteste les antiennes de la notion cardinale de travail de deuil dans l’Occident contemporain. La pensée thérapeutique et économique d’un deuil que l’on doit travailler, perlaborer afin de regagner le rivage de la vie, de se détacher de l’abîme laissé par l’absent fait place à une pensée des relations entre ceux qui restent et ceux qui sont encore là tout en n’étant plus à nos côtés. La singularité des réflexions provient ici du protocole d’expérimentation artistique qui relie les cinq histoires : les intervenants, les citoyens de chacun de ces cinq récits de décès ont fait appel au collectif des Nouveaux Commanditaires créé par François Hers en 1990, un collectif qui attribue la création d’une œuvre plastique, musicale, littéraire, théâtrale, architecturale… à un artiste contemporain chargé de réaliser un « monument de sensations » (Deleuze) permettant de rendre présents celles et ceux qui ont été fauchés par la Camarde. Continuer la lecture