Eléonore DE DUVE, Donato, Corti, 2023, 216 p., 21 €, ISBN : 9782714312952
Donato a marché, arraché, caressé, goûté, ri, pleuré. Il s’est penché, courbé, est remonté. Il a souri, pleuré, bu, dansé et raconté peu. Il a quitté la chaux de son village des Pouilles pour le Pays noir de Charleroi.
Avare de mots, mais riche de souvenirs, il laisse à sa petite-fille moins que des photographies en noir et blanc, des traces – à peine des esquisses – lacunaires, sur lesquelles restent à mettre couleurs, odeurs, saveurs. Des mots qui trahiront inévitablement la vérité : Continuer la lecture →
L’Histoire est toujours une surprise, elle ne se répète jamais à l’identique et a besoin de romanciers, d’écrivains, d’historiens pour piéger les paresses des comparaisons. Alain Berenboom pratique, dans une joie communicative, un art rare : celui de fouiller, de déplier et de scruter le Grand Récit par le prisme des personnages qu’il a construits de roman en roman, à partir d’une qualité nécessaire à tout véritable écrivain, l’ironie.
Dans son dernier roman en date, Clandestine, l’écrivain s’attache à une période glaciaire de l’Histoire de l’Occident (et du Monde) : le temps sombre, crédule et obscène à la fois qui suivit la chute du Mur de Berlin. Continuer la lecture →
Thierry ROBBERECHT, Trouver sa place, Weyrich, coll. « Plumes du coq », 2022, 116 p., 16 € / ePub : 9,99 €, ISBN : 978-2-87489-737-5
Moussa vient d’arriver à Bruxelles au terme d’un périple fou depuis sa Guinée natale. Mû par l’espoir de gagner l’Angleterre et d’y trouver un avenir meilleur, il erre dans la grisaille de la ville, affamé jusqu’au vertige, sans endroit où loger autre que les abris de carton où il croise ses semblables.
Marleen a la soixantaine tristounette, elle est veuve et vit seule, les enfants ont quitté la maison et ne donnent plus de nouvelles. Elle sait qu’elle finira sa vie sans réel souci matériel, mais elle souffre de solitude. Ses seuls contacts se résument aux commerces du coin et au bistrot où elle est bonne cliente, et au face-à-face avec son écran de télévision. Sans réelle perspective réjouissante. Continuer la lecture →
Pascal VREBOS, La chair déchirée d’une petite griotte noire, M.E.O., 2022, 64 p., 10 € / ePub : 6,49 €, ISBN : 2807003532
Avec La chair déchirée d’une petite griotte noire, Pascal Vrebos propose, aux éditions M.E.O., un court roman portant sur la thématique du viol et du traumatisme qui en découle, de la difficile et douloureuse reconstruction de l’individu.
Tout au long du roman, une jeune femme du nom de Mariama conte son histoire au lecteur. Personnage qui se veut universel, elle a ses racines sur le continent africain. Un jour, un projet d’étude l’a menée quelque part en Europe où elle a posé ses valises. Là, elle a fait l’expérience de la haine raciale et de la cruauté. Sa chair, nous apprendra-t-elle, y a été déchirée. Continuer la lecture →
Mehtap TEKE, Petite, je disais que je voulais me marier avec toi, Viviane Hamy, 2022, 256 p., 18,90 € / ePub : 13,99 €, ISBN : 978-2-38140-024-2
La rentrée littéraire 2022 accorde une large place aux premiers romans : 90 sur les 345 romans francophones annoncés, selon le décompte de Livres Hebdo. Mehtap Teke est l’une de ces nouvelles plumes à découvrir. Paru aux éditions Viviane Hamy, Petite, je disais que je voulais me marier avec toi conte l’histoire d’un homme qui, dans l’espoir d’une vie meilleure, quitte sa Turquie natale pour l’Europe occidentale.
Le roman est presque entièrement écrit à la deuxième personne du singulier : si la narratrice, une jeune femme, raconte l’histoire de son père, elle la raconte aussi à son père. Et retrace le parcours de vie d’un enfant pauvre né en Turquie, retiré tôt de l’école où il excellait. Arraché à ses rêves intellectuels, il est contraint de travailler dans les champs de coton avec son père, puis de quitter son pays d’origine pour rejoindre l’Europe occidentale, en quête d’une vie meilleure. Là-bas, il besogne sur des chantiers de construction, devient père d’une famille nombreuse. Avec une obsession : offrir à ses filles les possibilités et l’aisance sociale et financière dont il a été privé. Continuer la lecture →
Alex LORETTE, La vie comme elle vient, Lansman, 2022, 80 p., 12 €, ISBN : 9782807103467
Alors que sa vie semble peu à peu tirer sa révérence, Lucie regarde son passé. Elle se souvient de son arrivée en Belgique en 1958, âgée alors de dix-huit ans. Cette terre où elle s’est tout de suite sentie étrangère. Cette terre où il fait froid, où l’eau est verte, où le vent vient de la terre. Elle raconte sa naissance, au fin fond du Congo, au bord du fleuve, à quatre heures de marche de la première ville. Naissance à laquelle sa mère n’a pas survécu. Elle se souvient de son enfance auprès de sa nourrice noire, Massiga, au grand désarroi de son grand-père qui considérait le peuple noir comme des sauvages. Le racisme et les idées colonialistes étaient encore bien ancrées à cette époque. Malgré sa couleur blanche, Lucie se sent noire au-dedans. Continuer la lecture →
Lorenzo CECCHI,Comme un tango, préface Patrick Delperdange, Traverse, 2021, 285 p., 20 €, ISBN : 978-2-93078-339-0
Les auteurs belges francophones issus des familles italiennes qui ont émigré en Belgique à la moitié du 20e siècle ont marqué notre patrimoine littéraire d’une empreinte forte. Ils nous ont donné des œuvres qui font désormais partie de notre bien commun et dont la valeur n’est plus à démontrer. Lorenzo Cecchi est au nombre de ceux-ci et le dixième ouvrage qu’il nous livre aujourd’hui, qui comporte deux parties distinctes, y apporte une note spécifique. Continuer la lecture →
Tarek ESSAKER, La Fille de la Rivière, MaelstrÖm, 2021, 102 p., 8 €, ISBN : 978-2-87505-404-3
La Fille de la Rivière de Tarek Essaker figure désormais au catalogue de la jeune collection de poche de chez MaelstrÖm reEvolution : la collection Rootleg, qui promet à ses lecteurs « des racines-embryons de travaux en cours ou textes finis », autrement dit, « des radicaux livres ». Présenté comme étant un « texte fragmentaire et fragmenté », le long poème en prose qu’est La Fille de la Rivière dresse le portrait évanescent d’une femme pauvre et sauvage, sans terre ni âge.
Cette femme, « on la nomme Bleue », mais aussi « Fille de la Rivière ». Elle finira d’ailleurs par vivre aux abords de la « rivière », lieu abstrait et lieu de passage, y mêlant sa vie et son être au point de fusionner avec la nature qui l’entoure : Continuer la lecture →
Francesco PITTAU, Longtemps et des poussières, MaelstrÖm, 2021, 316 p., 18 €, ISBN : 9782875054029
Francesco Pittau se révèle écrivain aussi prolifique qu’homme discret. Parcourez la Toile, et vous constaterez que peu d’informations personnelles sont capturées dans ses fils. Bien entendu, vous trouverez l’essentiel – ses livres, ses albums, ses recueils – ; par contre, à peine quelques renseignements biographiques : une naissance en Sardaigne dans le milieu des années 1950, des études de Beaux-Arts à Mons, une collaboration intime avec Bernadette Gervais, un lieu de résidence dans la région bruxelloise. Cela pourrait être amplement suffisant… s’il n’y avait cette curiosité titillée lorsque l’on se plonge dans Longtemps et des poussières, roman qui semble posséder un ancrage autobiographique. Peut-être parce que le protagoniste est d’origine italienne (ce serait trop facile), que la narration se déroule dans une cité ouvrière à forte immigration du Sud (toujours peu concluant), que l’âge du héros correspondrait à celui de l’auteur à la même époque (oui, mais encore ?). Peut-être parce qu’il y a tellement d’humanité dans cette évocation de l’enfance que l’on se prend à croire qu’elle est tirée du matériau du vécu, du ressenti, du pulsatile. Mais l’on se fourvoie probablement ; et qu’importe au fond ? Continuer la lecture →
Née au Nord Viêt-Nam, Tuyêt-Nga Nguyên a grandi dans le Sud. En exil, elle a trouvé chez nous un pays d’adoption alors qu’elle est venue faire ses études à Bruxelles et elle y est restée, non sans vivre entretemps aux États-Unis et en Afrique. Dans ses romans précédents, elle s’est attachée à parler de son pays d’origine déchiré par la guerre, à en dire l’histoire et la culture, dont tout récemment dans Soie et métal. Relevant le défi de la collection Belgiques, elle décline en six nouvelles tout son attachement à cet autre pays qui est devenu le sien, et qu’elle a appris à aimer avec les yeux neufs de ceux qui le découvrent, guidée par un souci de comprendre et une curiosité que peu de natifs déploient. Continuer la lecture →
François GEMENNE, On a tous un ami noir. Pour en finir avec les polémiques stériles sur les migrations, Fayard, 2020, 252 p., 17 € / ePub : 11.99 €, ISBN : 978-2-213-71277-2
Spécialiste du climat et des migrations, qu’il enseigne à l’université, François Gemenne consacre son dernier livre On a tous un ami noir à démonter les idées reçues et autres « polémiques stériles » sur les migrations. Le titre est un pied-de-nez à l’« ami noir », brandi comme preuve de leur ouverture d’esprit par tous ceux qui réclament que les étrangers rentrent chez eux. Derrière ce titre légèrement provocateur, la démonstration est solide, documentée, mais aussi accessible. Continuer la lecture →
Verena HANF, La fragilité des funambules, F Deville, 2021, 300 p., 23 €, ISBN : 9782875990396
Les romans de Verena Hanf pétrissent toujours le matériau humain. La fragilité des funambules, dernier livre de l’autrice, ne déroge pas à la règle. On y retrouve également un autre invariant chez Hanf, qui se niche dans la mise en présence, voire dans la mise en friction, d’êtres et d’univers qui se seraient développés en parallèle si des éléments extérieurs n’avaient pas provoqué une rencontre. Comme celle d’Adriana, une jeune Roumaine au passé aussi rugueux que l’attitude qu’elle affiche, et Nina Jung, une psychologue confortablement installée aux agacements multiples. Tout, pratiquement, éloigne les deux femmes : leurs racines, leur éducation, leur statut social et marital, leur inscription au monde. Une faille aiguë les rassemble toutefois : leur maternité contrariée. Continuer la lecture →
Kenan GÖRGÜN, Anatolia Rhapsody, Postface de Pierre Piret, Impressions nouvelles, coll. “Espace Nord”, 235 p., 8.50 €, ISBN : 978-2-87568-540-7
Quelle excellente nouvelle que cette réédition dans la collection patrimoniale Espace Nord d’Anatolia Rhapsody de Kenan Görgün !
Cela fait maintenant six bonnes années que ce livre est sorti aux éditions Vents d’ailleurs et il a tout de suite laissé entendre une voix forte et singulière, celle de l’écrivain qui raconte et prend en charge la geste des autres, de ses parents, de ses concitoyens, celle de l’immigration turque en Belgique en 1964. Continuer la lecture →
Emmanuelle PIROTTE, Rompre les digues, Philippe Rey, 2021, 272 p., 18 € / ePub : 10.99 €, ISBN : 9782848768663
Remarquée pour ses quatre premiers romans, Emmanuelle Pirotte nous donne des fictions placées sous le signe de la rupture. Ses personnages évoluent dans un monde où les repères se sont estompés : Seconde guerre mondiale dans Today we live (2015), pandémie dans De profundis (2016), colonisation des Indiens du Grand Nord au XVIe siècle dans Loup et les hommes (2018), épidémie de peste à Londres dans D’innombrables soleils (2019). À la faveur de l’extraordinaire, des personnalités s’affrontent, des destins se forgent. Avec Rompre les digues, elle nous emmène dans les entrechocs de l’argent sans limites et des fractures sociales de notre monde contemporain. Continuer la lecture →
Francisco PALOMAR CUSTANCE, Le fils du matador, Diagonale, 2021, 233 p., 18,50 €, ISBN : 978-2-930947-02-0
« Rodrigo grimpait à toute vitesse la pente qui le conduisait au cimetière. Tout droit vers la proue du navire. L’éperon prétentieux qui surplombait les jardins et l’ensemble des logements sociaux (…). »
Le jeune garçon (onze ans) s’apprête à réaliser un happening oscillant entre délinquance et affirmation : peindre en rouge Ferrari une tombe visible depuis chez lui. Ses multiples incartades le mettent au ban de la société du coin, de l’école, de la famille ? Le héros de notre roman n’en a cure. Seul lui importe de devenir un jour matador, comme son père et son grand-père. Et peu lui chaut d’être doué pour le dessin ou le chant. Être matador ou rien. D’où l’école buissonnière, le cimetière transformé en arène, un chien ou un engin de fortune adaptés pour jouer les taureaux. Continuer la lecture →
Nicole MALINCONI, Nous deux, Da solo, postface de Marie Klinkenberg, Impressions nouvelles, coll. « Espace Nord », 2020, 260 p., 8,5 €, ISBN : 9782875684882
Amour possédé. Amour sous possession. Amour. Avoir. Ainsi commence Nous deux. Par un court poème sous forme de déclinaison amoureuse : « Heureusement que je t’ai/Heureusement qu’on s’a… » Jusqu’à l’ambigu dernier vers : « Tu m’as eue ». Piège. De l’amour. De l’amour maternel dans ce livre-ci de Nicole Malinconi, prix Rossel 1993. Le livre de la mère et de la fille. Continuer la lecture →