C’est l’histoire d’un poème. Un poème reçu en classe, et qu’il va falloir réciter devant tout le monde. Un poème si long, si compliqué, qu’il fait paniquer. Peur du trou de mémoire, des moqueries, de la mauvaise note. Alors, le poème s’oublie au fond du cartable, comme un fruit qu’on n’a pas mangé à la récré. Mais à un moment ou un autre, il faut bien le sortir de là, le défroisser. Il est répété, aussitôt oublié. Comment faire pour que les mots ne s’échappent pas ? Continuer la lecture →
Colette NYS-MAZURE et AUCK, Camille, Atelier des noyers, coll. « Carrés secrets », 2023, 30 p., 12 €, ISBN : 978-2-490185-93-1
On sait la stimulante interaction que la poétesse Colette Nys-Mazure aime à nouer avec les arts plastiques. Dans sa bibliographie, nombre de textes naissent des illustrations qui en ornent l’édition, les suscitent parfois, les éclairent toujours. L’incandescence de la poésie trouve alors à se démultiplier par le regard que le lecteur et la lectrice portent sur l’œuvre dessinée, peinte, sculptée ; s’y trouve une surcharge d’émotion, de lumière, de grâce. Continuer la lecture →
Pascale FONTENEAU et Kikie CRÊVECOEUR, C’est reparti !, La pierre d’alun, coll. « La petite pierre », 64 p., 15 €, ISBN: 978-2-87429-130-2
Même s’il trouve des adeptes sous format numérique, le livre reste un objet que l’on tient en mains et qui s’appréhende par le regard, le toucher des doigts et plus encore. C’est reparti ! tient presque dans le creux de la main, avec sa reliure annelée, et il attire les yeux avec les couleurs chaudes de sa couverture jaune aux caractères d’un rouge irisé. Celle-ci tournée et devenue la dernière, on découvre la facture d’un papier cartonné et doux et, très vite, cette citation liminaire de Christian Dotrement, qui donne le ton : « J’ai l’air de fragmenter comme ça en réalité j’unis ». Continuer la lecture →
Martine ROUHART, L’inconnu dans le jardin, ill. Christian Arjonilla, Bleu d’encre, 2023, 54 p., 12 €, ISBN : 978-2-930725-56-7
L’inconnu dans le jardin héberge la perspective d’une rencontre entre une écrivaine de soixante-huit ans, qui a choisi son jardin pour muse, et une forme obscure, s’adossant au tronc d’un érable durant les insomnies de la narratrice. Ce jardin, « entre le visible et l’invisible », conditionne le regard de l’autrice : les animaux et végétaux qui le peuplent ne traversent pas son champ de vision et, pourtant, elle les sait présents, « en espoir de quelque chose ». Sensible à cette fausse absence, elle se laisse donc envahir par cette ombre, ce prétendu inconnu, aux apparitions irrégulières, qui finit par peupler sa pensée diurne. Continuer la lecture →
Les Éditons Le Coudrier ont confié à Philippe Leuckx, avec raison et bonheur, « l’avant-dire » du dernier recueil du poète hennuyer Pascal Feyaerts. Entre poètes, surgissent des émotions inattendues lorsqu’ils formulent cette empathie singulière qu’engendre le poème de l’un sous la plume de l’autre. Leuckx met en évidence avec justesse cet « univers de doutes, de clartés et d’ombres » qu’il décèle dans les pages du Locataire.
Quant aux illustrations de Derry Turla qui ornent le recueil, elles ouvrent les textes comme autant de vertiges nouveaux, de prolongements de l’énigme irrésolue que propose le poète. Alternant dans les formats rectangulaires des visages estompés et des fragments d’édifices (maison, portiques), l’artiste semble fasciné par les regards qu’il a perçus dans les textes dont il devient le miroir. Continuer la lecture →
Corinne HOEX, L’ombre de toi-même, Tétras Lyre, 2023, 68 p., 15 €, ISBN : 978-2-930685-69-4
Publié aux éditions Tétras Lyre, le dernier ouvrage de Corinne Hoex semble le miroir d’un autre, paru une dizaine d’années auparavant dans la même maison, L’autre côté de l’ombre(2012): format identique, coexistence du texte et de l’image, questionnement du visible et fractionnement d’un long poème en petites parts subtiles – comme pour étirer les secondes et y puiser plus encore de matière à explorer. L’ombre de toi-même est un livre délicat, patiemment tissé entre les instants nébuleux qui marquent l’entrée dans la nuit. Continuer la lecture →
Béatrice LIBERT, illustrations de KOTIMI, Voyages à perdre haleine, Motus, coll. « Pommes Pirates Papillons », 2023, 64 p., 13 €, ISBN : 9782360111275
Dans Voyages à perdre haleine, Béatrice Libert emmène en voyage le vivant soit-il un humain, un animal, un insecte volant ou rampant, un fruit et aussi, avec brio, ceux qu’a priori, le voyage ne concerne pas : le chêne, le réverbère, la fenêtre…
Les mots jouent, virevoltent et s’enchaînent dans ce recueil abouti et efficace, teinté d’absurde et d’humour. La poésie s’y conjugue sans peine, et “Sans perdre la boussole” : Continuer la lecture →
Caroline LAMARCHE, Émelyne DUVAL, Le livre du destin, La pierre d’alun, coll. « La petite pierre », 2023, 64 p., 15 €, ISBN: 978-2-87429-129-6
Nouvelle curiosité de la collection « La petite pierre » aux éditions bruxelloises La pierre d’alun, Le livre du destin ou la divination par les cartes du Marquis de La Pierre d’Alun se veut aussi bien ludique et léger qu’ésotérique. L’ouvrage, en effet, ne camoufle pas ses intentions. Il a pour vocation de prédire l’avenir en s’appropriant le plus librement possible les règles de la divination.
En ouverture, la préface du Livre du destin décrit les protagonistes d’un curieux jeu de rôle. Un jour, un Marquis n’en étant pas vraiment un, ancien coiffeur puis détenteur d’une galerie d’art, « [à] l’heure du parfait rayonnement de son double destin, [éprouve] le besoin d’en prédire la trajectoire future ». Le voilà donc qui commande à une collagiste un jeu de cartes divinatoires. Parce qu’il est nécessaire d’user sans détours du langage pour traduire les visions de l’avenir, une poète est à son tour enrôlée. Continuer la lecture →
Sara GRÉSELLE, Silva, Esperluète, coll. « Cahiers », 2023, 20 p., 11,90 €, ISBN : 9782359841688
En latin, Silvadésigne le bois, le bosquet et, au figuré, une grande quantité, une matière abondante. Dans la langue de Sara Gréselle, le concret et l’imagé fusionnent, et Silva évoque ainsi à la fois la femme-arbre et la femme-forêt. En termes éditoriaux, Silva se concentre en une plaquette, mince et allongée : 20 pages, seulement, à la sève épaisse et collante qui circule irrésistiblement, irrigue profondément. Silva, pluriellement singulière et singulièrement plurielle.
Dans ce texte puissant, Gréselle s’arrête sur une expérience intime, qu’une femme sur quatre connaîtrait, ce qui d’ailleurs « […] ne chang[e] rien à la solitude de l’expérience ». Un jour de Vénus pas très lointain donc, « une de [s]es branche a été arrachées. Non, ce n’est pas ça : une de [s]es branche est tombée. Ça n’a pas fait le bruit qu[’elle] avai[t] imaginé ». Les mots posés soulignent la délicatesse du moment et trahissent un mouvement qui ne souffre aucun retour en arrière : une fois que la branche, qui partage le flux vivant, les terminaisons nerveuses et la pulsation intérieure, se détache, elle retourne à la terre, qui accueille en silence. Il faut ensuite cautériser l’écorce blessée, accepter le temps de la cicatrisation et « faire confiance aux racines, au réveil du printemps, le temps que revienne, un jour, le chant des oiseaux ». Car le cycle, immuable, suivra son cours. Continuer la lecture →
François DEGRANDE, Trois fantômes biodégradables, Bleu d’encre, 2022, 168 p., 16 €, ISBN : 978-2-930725-52-9
Orné de dessins de Philippe Joisson, de M. la Mine et de l’auteur, cette fable en vers de François Degrande s’ouvre sous une épigraphe on ne peut plus révélatrice : Inspiré de faits réels basés sur une fiction…
Le recueil raconte les multiples tentatives manquées de spiritisme auxquelles se livre le narrateur. La première s’ouvre sur une invention capable de bouleverser l’équilibre économique des sociétés d’auteur dans le monde (nous n’en dévoilerons pas davantage ici pour ne rien divulgâcher). Continuer la lecture →
En 2018, Alexandre Galand (docteur en histoire, en art et en archéologie) et Delphine Jacquot (illustratrice) nous avaient envoûtés avec Monstres et Merveilles (Le Seuil jeunesse), une visite dans les cabinets de curiosités à travers le temps. Avec Sauvage ?, le même duo, passionné d’étrange et d’extravagance, nous emmène loin dans les questionnements sur l’autre et nos représentations de l’altérité.
Extrêmement bien documentée, Sauvage ? est une encyclopédie de 64 pages immenses, composée de 4 parties, le sauvage des légendes, des « sauvages » pour l’Occident, la nature sauvage, les sauvages masqués. Un immense album jeunesse, un texte-image pour adultes et enfants nous invitant à penser l’autre. On y trouve les belles illustrations (les crédits se trouvent détaillés à la fin du livre), les mises en scène fabuleuses de Delphine Jacquot dont on reconnaît le trait. Continuer la lecture →
Jacinthe MAZZOCCHETTI, En écorches, ill. Helena Da Silva Casquilho, Chat polaire, 2022, 122 p., 16 €, ISBN : 978-2-931028-22-3
Jacinthe Mazzocchetti publie pour la première fois aux éditions du Chat polaire un recueil de poèmes intitulé En écorches. Le recueil, illustré à l’encre de Chine par Helena Da Silva Casquilho, aborde de nombreux sujets de société qui reviennent à la manière de ritournelles, d’un vers à l’autre ou d’un poème à l’autre, se nourrissant les uns les autres afin de transcrire avec le plus de limpidité possible les pensées et positions idéologiques de la poétesse. Au fil des strophes, il sera ainsi question du consumérisme, de l’absurdité et de l’hypocrisie occidentales ; de l’immigration, du tiers monde, de la guerre, des injustices et des violences faites aux femmes ; de l’écriture et de la mémoire. Continuer la lecture →
Jean-Michel LECLERCQ (Texte)et MArie MAHLER (Illustration), J’habite ici aussi, CFC, 2022, 46 p., 15 €, ISBN : 978-2875720795
Depuis quelque temps, on découvre des photos et des anecdotes de rencontres d’animaux et d’humains en pleine ville. Le monde sauvage et le monde urbain coexisteraient-ils ? Telle maison communale filme les rapaces installés sur son toit, telle autre cherche des solutions pour éloigner les renards des poubelles. Nos villes bruissent et servent de cachettes à cet autre monde. MArie MAlher et Jean-Michel Leclercq ont compris. « Ils habitent ici aussi ». C’est ce que nous raconte leur livre. Album témoignage. Continuer la lecture →
Laurent DEMOULIN, Slam femme & autres textes, Dessins d’Antoine Demoulin, Maelström, coll. « Bookleg », 2022, 47 p., 3 €, ISBN : 978-2-87505-419-7
Laurent Demoulin (1966) a étudié à l’université de Liège, où il a reçu les enseignements de Jacques Dubois et de Jean-Marie Klinkenberg. Il y enseigne aujourd’hui. Son premier roman, Robinson, obtint le prix Victor-Rossel 2017. Son frère, le peintre Antoine Demoulin, dit Demant, illustre le présent recueil. Il avait déjà publié d’autres dessins en frontispice d’autres recueils : Filiation, Même mort, Palimpseste insistant et l’édition revue et largement augmentée d’Ulysse Lumumba. Les deux frères avaient aussi publié une œuvre singulière à quatre mains, Homo saltans, où le texte et l’image s’entrelacent en un pas de deux très réussi. Continuer la lecture →
Véronique KOMAI, On peut inviter quelqu’un ?, À pas de loups, 2022, 34 p., 16,50 €, ISBN : 9782930787855 Dès 3 ans
Véronique Komai, dans ses trois premiers albums publiés chez Pastel à L’école des loisirs, a créé un univers bien à elle, s’appuyant plus particulièrement sur un graphisme original. Son dernier livre, On peut inviter quelqu’un ?, paru cette fois sous l’enseigne belge À pas de loups, ne déroge pas à la règle.
Bruxelloise, Véronique Komai a été institutrice dans une école maternelle pendant vingt ans. Passionnée par les voyages et les îles, elle a vécu durant un certain temps à Tokyo avec ses filles. Elle en a ramené un goût prononcé pour les papiers japonais qui apparaissent dans sa technique de prédilection : les papiers découpés. Sa maîtrise de la technique lui permet d’apporter du mouvement à des personnages et des décors aux formes géométriques joyeusement colorées. Le tout judicieusement placé dans l’espace-page. Comme dans un des albums précédents, Les trois chiens, elle met en scène… trois chiens qui ressemblent furieusement à nous les humains. Continuer la lecture →
Caroline LAMARCHE (autrice) et Françoise DEPREZ (photographe), Toujours l’eau, juillet 2021, Caïd, 2022, 192 p., 20 €, ISBN : 978-2-930754-35-2
Des flots. De boue. De furie. De toxicité. De ravage. Mi-juillet 2021, la région liégeoise, à l’instar d’autres parties du pays, est confrontée à des inondations meurtrières à plus d’un titre. Les images retransmises dans les médias, aussi apocalyptiques paraissent-elles, ne traduisent alors que partiellement l’ampleur de la catastrophe. « À la télé, on ne sentait pas la peur » (Guy) « Le bruit, c’était comme dans un film de sous-marin. Les meubles qui s’entrechoquaient en bas, la déflagration des arbres qui rentraient dans la façade. » (Luc) « L’odeur était terrible. Indescriptible. Une odeur de vieux, de pourri, de mort, de gasoil. Et le bruit… » (Laurent) La Belgique, médusée, assiste à l’engloutissement de maisons, de quartiers, de routes et de ponts, à l’anéantissement de vies entières, à la détresse poignante d’une partie des siens. Continuer la lecture →