Zoé DERLEYN, Debout dans l’eau, Rouergue, 2021, 144 p., 16 € / ePub : 11.99 €, ISBN : 978-2-8126-2196-3
Elle, dont le prénom nous est tu, c’est une jeune fille aux portes de l’adolescence. Du haut de ses onze ans bien sonnés, elle nous conte sa vie avec ses grands-parents, dans un domaine campagnard flamand. Elle quitte peu les alentours, mais l’exploration du grand jardin lui offre d’inépuisables curiosités. Outre le personnel de maison, il y a sa grand-mère, qui n’est guère loquace, et son grand père qui ne l’est guère plus et vit ses derniers moments. Au vieillard alité, qui ne quitte plus la chambre, elle relate avec parcimonie la vie du dehors, les fruits et les légumes qui mûrissent au soleil de l’été. Continuer la lecture →
Chloé DESPAX et Nora BOULANGER-HIRSCH, Meute, fiction sonore, d’après un texte de Ludovic Drouet. Prise de son et mixage de Pierre Devalet, montage de Chloé Despax et Nura Boulanger-Hirsch, URL : https://soundcloud.com/chloedespax/meute
Premier volet du triptyque Baron Samedi, écrit par l’auteur de théâtre Ludovic Drouet et monté par Chloé Despax et Nura Boulanger-Hirsch, la fiction radiophonique Meute livre un conte noir doux-amer, entre rêverie tendre et apocalypse, harmonie champêtre et rupture violente, sous le signe de l’inquiétante étrangeté. Continuer la lecture →
Naguère considérés comme des outils destinés à des groupes de lecteurs circonscrits – les enfants, les aveugles – les livres audio génèrent désormais un intérêt croissant auprès de tous les publics. Ils permettent notamment de lire, ou d’écouter une lecture, tout en réalisant une autre activité – en conduisant, par exemple, ou en pratiquant un sport.
Dans le monde francophone, plusieurs maisons d’édition dédiées au livre audio ont vu le jour. En Belgique, les éditions Autrement dit oeuvrent depuis de nombreuses années dans ce secteur.
Dans la plupart des cas, les audiolivres sont des rééditions d’ouvrages préalablement parus au format imprimé – donc majoritairement des ouvrages à succès. Six exemples d’auteurs et autrices belges de littérature générale que l’on retrouve en livre audio. Continuer la lecture →
Avec six romans à l’enseigne du « Noir corbeau », la collection éponyme des éditions Weyrich prend son envol dans le paysage de la littérature policière. La Belgique francophone s’est déjà illustrée – et de quelle façon ! – dans la production de romans noirs. S’il fallait nous en convaincre, ou simplement nous en informer, la Petite histoire du roman policier belge, un ouvrage de passion érudite signé Christian Libens, qui dirige la collection dont il est à l’origine, évoquera la lignée dont Francis Groff est issu. On y retrouve les noms des deux patriarches, Simenon et Stanislas-André Steeman, suivis des Nadine Monfils, Pascale Fonteneau, Barbara Abel, Baronian, Colize et autres Delperdange. Du côté flamand, les rayons des bibliothèques et librairies ne sont pas dépourvus non plus de ces romans qui appartiennent pleinement à la vraie littérature. Ils sont autant d’explorations de l’âme humaine, mais aussi de nos sociétés. Ce n’est pas le lieu ici de développer la capacité d’un roman policier à nous dévoiler un pays, une société, une ville, un mode de vie, une époque. Le roman policier, quel que soit le nom qu’on lui donnera (thriller, roman noir, detective story…), nous entraîne dans le sillage de sa lecture à la découverte de cet « homme nu » que Simenon n’a cessé de débusquer, mais aussi de cette « société nue » que des écrivains comme Peter May, Pierre Lemaître, Boris Akounine, Xiaolong Qiu, et tant d’autres explorent dans toutes les littératures du monde. Continuer la lecture →
Jean RAY, Malpertuis, Histoire d’une maison fantastique, édition établie par Arnaud Huftier, postface de Jacques Carion et Joseph Duhamel, Impressions nouvelles, coll. « Espace Nord », 2020, 300 p., 10 €, ISBN : 978-2875684790
Pour les férus de fantastique, le nom Malpertuis est, tout comme celui de Ctulhu, synonyme d’épouvante. Chez les amateurs de « Nos Lettres » en général, le titre Malpertuis résonne comme un moment capital de l’histoire littéraire belge et se hisse au rang d’un classique. La définition, attribuée à Mark Twain, de cette catégorie d’ouvrages est connue : « un livre dont tout le monde parle et que personne n’a lu ». Et c’est sans doute le sort réservé depuis sa publication, au mitan de la Seconde Guerre mondiale, à ce roman-monstre, ardu, complexe, unique. Continuer la lecture →
La littérature se lit dans les pages des livres, bien sûr, mais elle s’écoute aussi. Performances, livres audio, festivals, lecture en communs… les occasions sont nombreuses de lire par les oreilles et de renouer, un peu, avec l’enfance et ce rituel de la lecture du soir qui, écrit Daniel Pennac, « tenait un peu de la prière. Cet armistice soudain après le tintamarre de la journée, ces retrouvailles hors de toutes contingences, ce moment de silence recueilli avant les premiers mots du récit, notre voix enfin pareille à elle-même, la liturgie des épisodes. […] c’était un moment de communion, entre nous, l’absolution du texte, un retour au seul paradis qui vaille : l’intimité. » (Comme un roman). Continuer la lecture →
Geneviève Damas a l’art de donner la parole à ceux, et surtout celles, qui n’ont pas toujours droit de cité dans nos sociétés. Après une migrante et celle qui va lui apporter soutien et logement dans Patricia, son précédent roman publié chez Gallimard, elle donne cette fois la parole à une adolescente dont la vie va prendre une direction inattendue.
Jacques SOJCHER, La confusion des visages, dessins d’Arié Mandelbaum, Fata Morgana, 80
p., 15 €, ISBN : 978-2-37792-038-9
Dans La confusion des visages, la poésie du philosophe-artiste Jacques Sojcher s’avance vers le plus nu. Nudité de la vie, nudité des mots pris dans le battement entre énonciation et mutisme, nudité d’un retour vers l’enfance. Composé de dix partitions poétiques, le recueil explore le paradoxe du verbe, à la fois passerelle — du moins promesse de passerelle — vers l’être et entrave au réel. Professeur émérite de philosophie et d’esthétique de l’Université Libre de Bruxelles, grand arpenteur des pensées de Nietzsche, de Lévinas, d’Artaud, de Jabès, auteur entre autres de Nietzsche. La question du sens, La démarche poétique, Paul Delvaux ou la passion puérile, Jacques Sojcher délivre dans ses textes et recueils poétiques (Le sexe du mort, C’est le sujet, Trente-huit variations sur le mot juif, Éros errant…) une maïeutique aporétique placée sous le signe de ce que Pascal Quignard appelle balbutiement. Ce balbutiement en tant qu’être au monde parcourt La confusion des visages qui s’ouvre sur un vers liminal « L’aube ne s’est jamais levée ». Empreints d’une légèreté grave, les textes sont autant de talismans en quête de la « vraie vie », d’un visage qui dise « oui à mon visage ». Le réel contrarie la propension au rêve. Le poème récolte les errances de la mémoire, exalte la permanence de l’enfance dont il est le gardien. Protéger l’enfance qui, survivant, barre l’accès à l’âge adulte, sonder la part d’enfance, c’est-à-dire d’in-fans, non parlante, de l’écriture a pour horizon l’échappée hors du « poids mort » de « chaque parole adulte ». Continuer la lecture →
Victoire DE CHANGY, L’île longue, Autrement, 2019, 200 p., 17 € / ePub : 12.99 €, ISBN : 9782746751262
Il s’agirait d’abord d’un départ : sur un coup de tête, la narratrice, jeune femme affamée de mystère part à Téhéran et « s’accorde au décor et dénote à la fois ». Prend ses marques et le temps nécessaire pour découvrir l’Iran « qui ouvre ou qui ferme », « qui tend ou qui prend ». Lors de l’ashoora[1], elle a rencontré Tala, la vingtaine, qui la voit comme « sa première amie d’un autre pays ». C’est la fille aînée d’une fratrie dense. Sa mère est décédée il y a peu, dans une douleur quasiment indicible. Un mal qui pourtant a été gravé en ondes sonores sur le répondeur : « Dardaram, j’ai mal » sont des mots qu’on ne voudrait plus jamais entendre. Tala a aussi donné la vie très tôt à Bijan. Toutes trois, la fille déliée de son mariage, la petite-fille qui touche si tendrement les gens et les objets et cette narratrice invitée jusqu’au plus intime de cette famille, vont chercher à percer les secrets d’une mère dont subsiste une collection de phrases sibyllines. Dans le « carnet du dedans » résident sans doute des réponses à toutes leurs questions.
Philippe REMY-WILKIN, Matriochka, Samsa, 2019, 60 p., 9 €, ISBN : 978-2-87593-209-9
Philippe Remy-Wilkin orne la signature de ses courriels et les notices bibliographiques le concernant de la mention « auteur littéraire » qu’il semble affectionner. Sans doute cette formulation embrasse-t-elle davantage la diversité éditoriale des écrits de celui qui est à la fois essayiste, critique littéraire, nouvelliste et romancier. Philologue de formation, Philippe Remy-Wilkin est passionné d’Histoire et nous a donné déjà une remarquable étude consacrée à Christophe Colomb, Christophe Colomb, Le découvreur et la découverte : mythes et réalités. On lit aussi régulièrement ses chroniques sur Karoo et Le Carnet et les Instants, de façon épisodique ses nouvelles dans la revue Marginales, et ses prises de position sur les réseaux sociaux.
Dans le vaste continent des livres, rarissimes sont ceux qui créent un univers-langage aux pouvoirs de déracinement. Se cabrant contre toutes les limites, Poney flottant chavire la forme livre pour épouser des flux sauvages déstabilisant l’économie de l’écriture et, partant, de la lecture. Après Marilyn désossée (Maelström, couronné par le Prix de la Littérature de l’Union Européenne en 2013), l’écrivain, l’actrice et metteuse en scène Isabelle Wéry nous livre un conte qui traverse les bienséances du dire, du penser, du jouir. Humour corrosif, grinçant, pulsions en roue libre — fuck les lois de la famille, du socius —, l’héroïne Sweetie Horn, autrice à succès qui se réveille d’un coma après avoir entrepris le premier marathon de sa vie à 70 balais, nous livre l’épopée mentale de son existence. Sa voix nous parvient d’une région intermédiaire, entre les portes de ce qui est et les portes de la mort ; sa voix nous catapulte dans un monologue intérieur porté par une folle inventivité verbale qui répercute des expériences en marge. Texte-vortex qui déroule un flash-back stroboscopique, Poney flottant plonge dans l’enfance de S. H. en Angleterre, les caracoles dans l’inceste avec le grand-père gentleman farmer, les ébats érotiques qui explosent le corps, les sens et le syndrome poney qui affecte l’héroïne en proie à un arrêt de croissance. L’hormone de croissance fait la grève. Soumis à un essor luxuriant, le verbe et l’imaginaire prendront le relais. Continuer la lecture →
Jacques DUBOIS, Tout le reste est littérature, entretiens avec Laurent Demoulin, Impressions nouvelles, 2018, 240 p., 17 € / ePub : 9.99 €, ISBN : 978-2-87449-574-8
L’entretien littéraire est un genre littéraire en soi, qui non seulement peut s’avérer une source historiquement inestimable comme témoignage vivant d’un temps réel (Paul Léautaud avec Robert Mallet en 1950, André Breton et André Parinaud en 1952), mais également, en ce qu’il révèle une part de création littéraire inédite : quand Modiano soumet à l’interrogatoire Emmanuel Berl (en 1976), ou lorsque Pivot laisse le champ libre à Marguerite Duras (en 1984), on est bien obligé de reconnaître qu’il se dessine là autre chose qu’un simple question/réponse : dans l’entretien, l’écrivain parvient à se donner la parole, et à s’approprier une forme de discours (construit souvent, mais pas toujours) qui font intervenir des éléments que précédemment un texte littéraire de l’auteur n’a pas toujours pu, ou voulu, dévoiler. Continuer la lecture →
Élise BUSSIÈRE, Mal de mère, Mols, 2018, 128 p., 15,90 €, ISBN : 978-2-87402-238-8
On le scande depuis plusieurs décennies : « La maternité doit être un choix libre et réfléchi. » Certes, mais avoir le choix, décider de devenir mère, se penser mère, entre immanence et liberté morale, nager dans les courants des « avoir un enfant, c’est formidable ! », du sacro-saint mythe de la bonne mère et des « cela va de soi » prétendument maternels ; choisir de donner la vie, se transformer en une jeune accouchée et sombrer, être engloutie… Un fait qui touche à l’indicible, une parole qui semble inaudible que le deuxième roman d’Élise Bussière libère. Continuer la lecture →
Nous apprenons le décès de l’écrivain Alain Dartevelle, survenu le 6 décembre. Né à Mons en 1951, il était l’un des représentants importants des littératures de l’imaginaire en Belgique francophone, qu’il a déclinées à la fois en nouvelles et en romans. Il a reçu le Prix Robert Duterme 2012 de l’Académie royal de langue et littérature françaises de Belgique pour Amours sanglantes (L’Âge d’homme). Continuer la lecture →
La lecture des premières lignes du nouveau roman de Sylvie Godefroid nous plonge dans l’univers profondément cruel où Hope a grandi. Elle est née avec une neurofibromatose de type 1, entendez une tumeur inopérable qui lui « bouffe » le visage et effraie les regards qui se posent sur elle. Hope a été abandonnée par ses parents et n’a pas reçu d’affection. Elle n’en ressent pas pour elle ou pour le genre humain. Pétrie par la haine et le mépris qu’elle éprouve pour elle-même et pour les autres, elle a décidé de se suicider le jour de ses quarante-et-un ans, en tuant dans la foulée dix personnes de son choix. Continuer la lecture →
Victoire DE CHANGY, Une dose de douleur nécessaire, Autrement, 2017, 142 p., 14,50€/ ePub : 10.99 €, ISBN : 978-2-7467-4586-5
Les deux héros se sont rencontrés dans un bar à Bruxelles où ils ont pris l’habitude de se raconter leur journée. Lui a 52 ans et travaille à la radio ; elle a la moitié de son âge. Nous ne connaîtrons pas leur prénom. Pendant quelques mois, ils se retrouvent au même endroit sans se fixer de rendez-vous, pour le plaisir de parler. Un lien se tisse peu à peu, ils vont à un concert, puis se voient chez elle, en journée et à rideaux fermés uniquement, c’est que l’homme est marié et père de famille. Continuer la lecture →