Une poésie de vingt ans. Anthologie de la poésie en Belgique francophone (2000-2020), choix de textes et introduction par Gérald PURNELLE, Impressions nouvelles, coll. « Espace Nord », 2022, 440 p., 10 €, ISBN : 978-2-87568-557-5
La collection Espace Nord publie en juin 2022 une anthologie consacrée à la poésie belge francophone parue entre 2000 et 2020. « Ni un bilan, ni un état des lieux en bonne et due forme », le volume héberge les textes de 128 auteurs et autrices sous le pavillon d’une poésie jeune, à l’échelle d’un siècle jeune et d’un jeune millénaire. Continuer la lecture →
Anna AYANOGLOU, Sensations du combat, Gallimard, 2022, 88 p., 13 € / ePub : 9,49 €, ISBN : 9782072972454
Elle esquive les coups, elle absorbe tout – à l’instar de la boxeuse d’Arthur H, Anna Ayanoglou. Sensations du combat, son deuxième recueil, parait trois ans après le remarqué Le fil des traversées, chez Gallimard encore – collection blanche, et en redéploie, avec vigueur, des traces vives. Un philtre de perception pure.
Dieu soit loué il m’est donné d’aimer encore de vivre à perte contre le tempsContinuer la lecture →
Luc BABA, Vesdre, Arbre à paroles, 2022, 123 p., 14 €, ISBN : 978-2-87406-725-9
Dix mois à peine après les terribles inondations de juillet dernier, voici que nous parvient un texte nourri de ces jours où les rivières et les fleuves ont tué des hommes et détruit des maisons. Luc Baba, qui vit au bord de la Vesdre, a été témoin direct du désastre qu’il nous rend en séquences brèves, tout en finesse. Car le propos d’un écrivain n’est pas de recenser, de documenter un dossier mais de mettre des mots qui suivent au plus près les femmes et les hommes cernés par les flots.
D’abord pour rappeler le plaisir des personnes qui vivent en compagnie de l’eau, qui s’endorment et se réveillent avec son murmure à l’oreille, qui en connaissent la faune et la flore, la lumière et les odeurs. Et qui savent que quelquefois, elle grogne, monte jusqu’à un point donné, puis se retire. Mais cette fois, c’est différent, elle ne s’arrête pas, tous les points de repère sont effacés, il n’y a plus d’électricité, les téléphones sont déchargés, chacun est seul chez soi, sans plus aucun contact direct autre que des visages aux fenêtres. Dans les flots passent des voitures, des objets, des animaux, des arbres. Dans l’esprit de ceux et celles qui attendent, des images défilent, les visages des parents et amis, la crainte du pire, des lambeaux de prières, des souvenirs qui se bousculent. On est sous le toit et on sait que ce qui est en-dessous est déjà perdu, le puzzle qu’on a commencé, la photo encadrée, les livres et les choses que l’on aime. Et on pense à l’après. Continuer la lecture →
Pascal LECLERCQ, Dans un pays pourtant phénoménal, dessins de Benjamin Monti, Herbe qui tremble, coll. « D’autre part », 2022, 88 p., 13 €, ISBN : 9782491462406
Si nous suivons avec attention, depuis plusieurs années, la production de Pascal Leclercq, c’est sans doute dans l’attente du plaisir de retrouver, à chaque nouvelle parution, une musique bien personnelle. Même s’il reste discret, l’auteur poursuit à travers ses différentes activités de traducteur, de critique, de romancier ou d’animateur de la revue Boustro une œuvre cohérente et exigeante. Avec ce dernier recueil de textes en prose, Dans un pays pourtant phénoménal, il consolide un peu plus encore son architecture intime. Depuis une quinzaine d’années déjà, l’auteur affine ses positions, creuse toujours plus profond le sillon de ses obsessions, de ses interrogations. Dans ces sept parties composées chacune de sept textes courts, l’écorce des narrateurs ne cesse de se fissurer au contact d’un monde qui court toujours plus vite. Un monde à bout de souffle et souvent burlesque mais dont l’accélération inévitable imprime sur les corps d’insignes cicatrices. Blessures indélébiles que le poète tente de recoudre vaille que vaille même s’il pressent que l’opération restera vaine. Continuer la lecture →
Yves NAMUR, Nadine VANWELKENHUYZEN, Hélène CARRERE D’ENCAUSSE, David BONGARD, Danielle BAJOMEE, Jean Claude BOLOGNE et S.A.R. Laurent DE BELGIQUE, Centenaire de l’Académie royale de langue et de littérature françaises de Belgique, 1920-2020, Textes des discours prononcés lors de la séance solennelle du 16 octobre 2021, Académie royale de langue et de littérature françaises, 2022, 81 p., 10 €, ISBN : 978-2-8032-0065-8
Qu’appréhende-t-on face à des textes prononcés lors d’une cérémonie commémorative ? Du pesant, de l’obséquieux et du byzantin. Or… L’objet-livre, déjà, prédispose en faveur des contenus. Mise en abyme ? Une belle mise en page mais un format réduit, un cahier photographique en guise de témoignage mais une sobriété à mille coudées du livre d’art, etc. Quant aux textes… Passées quelques formules de politesse, ils sont fluides et justes, teintés de second degré et d’empathie. Ils se complètent surtout harmonieusement pour nous offrir une vision synthétique de ce qu’est, de ce qu’a été, de ce que devrait être à l’avenir l’Académie royale de langue et de littérature françaises de Belgique. Continuer la lecture →
Karel LOGIST, Tout est loin, L’herbe qui tremble, coll. « D’autre part », 2022, 120 p., 16 €, ISBN : 978-2-491462-39-0
Tout est loin : voilà bien une logistisation, une karellogisterie – un flou entretenu qui a du charme. Car rien n’est plus vrai et rien n’est moins faux quand le sentiment de proximité nous saisit à chaque poème, renversant le titre du recueil, malicieusement. Avec une simplicité d’apparence, Karel Logist sait comment dessiner les contours du trouble en nous rapprochant par le poème des paysages humains.
Se saisissant des mots de tous les jours, le poète esquisse ici les malentendus de l’existence. « Je ne trouverai point / de meilleurs compagnons / pour chanter mes saisons / ou dire mes chagrins », écrit-il. De fait : Continuer la lecture →
Ariane LE FORT, Quand les gens dorment, ONLIT, 2022, 186 p., 18 €, ISBN : 9782875601513
On prend l’histoire en cours – l’histoire d’un amour. Janet retrouve Pierre chez lui, dans un immeuble bruxellois promis à la démolition – avec vue sur la cathédrale. Janet : 57 ans, « quelque chose de Barbara », travaille dans une clinique de la douleur, « avec pour mission de la réorganiser de A à Z ». Pierre : « Max von Sydow en plus chevelu », réalisateur en vue, jusqu’à ce que. Sa fille, renversée par un tram. Décédée. Lui, plus mort que vif, depuis. « Plus personne ne le reconnaissait, on ne le regardait plus, il n’avait pas fallu cinq ans ». Ils sont chacun d’un autre côté de la vie, de la mort, Janet et Pierre ; et ça, davantage que la différence d’âge (il est plus âgé de quinze ans), va entraver l’histoire. Le désir. Va faire qu’« ils ne vivraient sans doute jamais ensemble et mourraient chacun chez soi le soir venu ». Continuer la lecture →
Victoire DE CHANGY, Subvenir aux miracles, Cambourakis, 2022, 96 p., 10 €, ISBN : 978-2-36624-672-8
« Écrire sur le vêtement, sur mon rapport au vêtement, ma relation au vêtement, obsessionnelle, compulsive, admirative, spontanée, fantasmée, ensorcelée, basique parfois, dépendante forcément, sensorielle surtout : tactile, sensible. »
Tout en finesse et délicatesse, composé de petits textes cousus dans un tissu langagier raffiné, le livre Subvenir aux miracles de Victoire de Changy donne textuellement forme aux textiles qui nous vêtent et revêtent, nous apprêtent ou nous caparaçonnent. Lurex, tulle, lin, chanvre,… se croisent et se décroisent dans ce livre, à l’instar des divers points de vue sollicités par Victoire de Changy, pour former la matière tissulaire de son écriture. Continuer la lecture →
Carl NORAC, aNNe HERBAUTS, Petits poèmes pour y aller, Pastel, 2022, 132 p., 18 €, ISBN : 9782211316842
À ma gauche, Carl Norac, qui fut notre poète national jusqu’il y a peu, qui s’adresse tant aux enfants qu’aux adultes et arpente les plages ostendaises. À ma droite, aNNe herbauts, illustratrice bruxelloise vivant en lisière de forêt et récente lauréate du Prix triennal de littérature jeunesse de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Lorsque ces deux auteurs, qui ont chacun derrière (et devant) eux une œuvre aussi singulière que réjouissante, se réunissent le temps d’un livre, cela donne un recueil de poèmes malicieux et délicat. Continuer la lecture →
Frédéric DAMBREVILLE, Les disparus de Gatti de Gamond, Préface de Daniel Weyssow, CFC Éditions, 2022, 790 p., 28 €, ISBN : 978-2-87572-075-7
C’est sans doute son œil de peintre et de graveur qui, détectant une inscription sur la cheminée du salon, a le premier pressenti la lourde histoire du nouveau lieu qu’il occupe rue Fauchille à Bruxelles. À partir d’un détail visuel qui l’interpelle, Frédéric Dambreville reconstitue pas à pas, durant dix années, la tragédie qui a frappé cet immeuble qui abrita l’Institut Gatti de Gamond. Tirant un fil d’Ariane mémoriel, il délivre au fil d’enquêtes, de témoignages, d’études d’archives le récit de la rafle d’enfants juifs et de leurs logeurs qui eut lieu le 12 juin 1943. Du plus ténu, du microscopique, d’une trace muette, l’auteur dégage la tragédie d’une scène macroscopique, lève le voile sur un pan de la résistance en Belgique et interroge un épisode bouleversant de la Shoah. Continuer la lecture →
Edgard P. JACOBS, La Marque Jaune, 5e couche, coll. « Didascalies », 2022, 124 p., 10 €, ISBN : 978-2-39008-083-1
Au rayon littérature française chez votre libraire, l’ouvrage n’attire pas vraiment plus l’attention qu’un autre. Une couverture blanche ornée d’un filet bleu, une typographie alternant le noir pour l’auteur et le bleu nuit pour le titre, tout semble indiquer qu’on a sous les yeux un ouvrage de cette maison bien connue qui publie Jean Echenoz, Pierre Bayard ou Eugène Savitzkaya. La couverture, cartonnée à dos carré, intrigue un peu, mais voilà, un zeste de coquetterie sans doute… Et puis… By jove ! Damned ! Bon sang ! Dès qu’on ouvre la première page, trois phrases bien senties propulsent le lecteur non endormi dans l’atmosphère nocturne du « fog » anglais : « Big Ben vient de sonner une heure du matin. Londres, la gigantesque capitale de l’empire britannique, s’étend, vaste comme une province, sous la pluie qui tombe obstinément depuis la veille. Sur le fond du ciel sombre, la tour de Londres, cœur de la ‘City’, découpe sa dure silhouette médiévale… » Ces quelques lignes, un peu désuètes (où en est aujourd’hui l’empire britannique ?) campent directement l’atmosphère d’un de ces romans qu’aurait pu écrire Agatha Christie, ou, avant elle, Jules Vernes… Continuer la lecture →
Bernard Antoine et Jean-Marc Rigaux (Kipjiru 42… 195) chez Murmure des soirs, Alain Berenboom (Hong-Kong Blues) chez Genèse, Marcel Sel (Rosa et Elise) chez Onlit… En cinq ans, cinq thrillers d’envergure et complets : souffle, intensité et écriture. Des auteurs belges publiés en Belgique à situer tout en haut du genre, dignes des plus grandes maisons parisiennes. Par ailleurs, Antoine, Rigaux et Sel assènent une vérité troublante : un auteur peut se déployer tardivement, après une autre carrière, et, en un seul livre, en quelques mois ou une poignée d’années, être infiniment plus consistant, reconnu, important que des confrères publiant des dizaines d’ouvrages depuis des décennies. Continuer la lecture →
Présenté comme un « sympathique cabot », son nom apparaît en janvier 1929 dans l’incipit de Tintin au Pays des Soviets et sa silhouette, dès la deuxième case. En quatrième case, l’air dépité, il prononce sa première phrase : « J’ai entendu dire qu’il y avait des puces là-bas ». Un on-dit dénotant d’emblée la tonalité qui va s’imposer au fil des albums – du moins jusque dans les années de guerre, période où Milou perd de son importance narrative et passe au second plan, relayé par le tonitruant Haddock. Continuer la lecture →
André BORBÉ, Granlarge et Loncour, Alice Éditions, 2022, 192 p., 13 €, ISBN : 9782874264818
Tzouzi s’appelle en réalité Léon Louis, mais tout le monde le surnomme ainsi à cause de sa petite taille. Pourtant, âgé de douze ans, lui se trouve bien assez grand pour mener sa barque tout seul. Un beau jour, le jeune garçon décide de quitter sa mère et ses quatre grandes sœurs pour prendre le large. C’est qu’il y a tout un monde à découvrir au-delà des falaises qui bordent La Fossette, son village natal dont il n’était jamais sorti. Il s’aventure le long de chemins escarpés, à la recherche de Gaspard Granlarge, un étrange marin qui fut l’ami de son père, Lucien Loncour et dont celui-ci lui parla juste avant de mourir. En chemin, il fait la rencontre d’un bizarre enfant caché derrière les rochers, fait la plonge au Bar des Poulpes Mouillés en échange d’une nuit au chaud, découvre un tatoueur bègue qui a un serpent dessiné autour du cou, est confronté à des situations périlleuses et à l’adversité, mais avance avec pour seule boussole le désir de connaitre la vérité non seulement sur l’ami de son père mais aussi au sujet d’un légendaire bateau volant. Continuer la lecture →
Jacques-Gérard LINZE, La fabulation, Académie royale de langue et littérature françaises de Belgique, 2022, 158 p., 18 €, ISBN : 9782803200634
Après L’ornement des moisde Maurice des Ombiaux et L’herbe qui tremblede Paul Willems l’an dernier, c’est à un roman majeur de Jacques-Gérard Linze que l’Académie royale de langue et de littérature françaises offre une seconde vie. Préfacé par Ludovic Janvier, La fabulation, paru initialement en 1968 chez Gallimard, retrouve ici les mains, les yeux, le trouble du lecteur.
Que s’est-il vraiment passé lorsque Marian a quitté le bruit de la fête pour la paix du jardin ? Il avait emporté une carabine pour l’essayer sur le pas de tir situé en contrebas de la propriété. Il était seul. Était-il troublé par quelque révélation de la soirée ? Avait-il trop bu ? Qui pourra expliquer sa mort ? Son corps fut retrouvé en travers du sentier, l’arme à la main, le crâne perforé par une balle, dans une position qui permettait de conclure à un accident. Mais n’y a-t-il pas matière à croire à un suicide ? ou à un meurtre ? C’est ce que le narrateur va tenter de découvrir. Continuer la lecture →
Isabelle SPAAK, Des monts et merveilles, Équateurs, 2022, 267 p., 20 € / ePub : 14,99 €, ISBN : 978-2-38284-062-7
« Chasseur de baleines et chimères, éleveur de renards, traducteur de nuages, querelleur polyglotte, clown pour tous les âges, écrivain du dimanche, érudit, poète, Michel est aussi un épistolier infatigable ». Sa disparition, en 2019, plonge sa demi-sœur, Isabelle Spaak, dans un profond chagrin. Très vite, les souvenirs se bousculent, disparates, fragmentaires, soumis parfois aux défaillances de la mémoire. Il y a les vacances d’été sur l’Île de Ré dont les photos en kodachrome prises par la mère reconstituent l’heureux film, les cris et blessures d’enfant que seul Michel semble pouvoir apaiser puis les lettres échangées, innombrables. Continuer la lecture →